Marguerite
affaire. Ne cherchons pas à comprendre.
Ovide de Rouville, qui exhibait ce matin-là un chapeau de castor extravagant, dernier modèle d’un célèbre chapelier londonien importé par un tailleur de Montréal, était arrivé de la ville juste à temps pour assister à la messe paroissiale avec sa famille. Le sermon dominical l’avait secoué. Il avait eu la désagréable impression que le curé s’adressait { lui, qu’il le fustigeait en le montrant du doigt.
«Certains d’entre vous commettent des crimes qui restent impunis, avait clamé messire Bédard du haut de sa chaire. L’amour de Dieu commande-t-il qu’on violente sauvagement notre prochain ? Et pire encore, il arrive que la faute d’un crime soit attribuée { un autre parce que le criminel refuse de s’en confesser. Une femme séduite contre son gré doit-elle porter la responsabilité de son infortune ?
Et son séducteur, l’impudent qui tait son forfait, n’est-il pas coupable d’un grand crime ? Rappelez-vous, mes frères, que Dieu voit tout. Un coupable a l’esprit obscurci par des actes ignobles. Il ne connaîtra jamais la paix du Seigneur tant qu’il ne se sera pas confessé. Le Seigneur notre Dieu nous ordonne d’aimer notre prochain comme II nous aime. S’il y a parmi vous des coupables, qu’ils se dénoncent en confession et Dieu, dans Sa grande miséricorde, leur pardonnera après qu’ils auront fait pénitence. Tels sont les bienfaits de la confession. Sinon, les pécheurs brûleront dans les flammes de l’enfer. »
Les derniers mots avaient résonné dans l’église, et les murs en avaient tremblé tant le prêtre avait prêché sévèrement. Ovide tressaillit nerveusement à ce souvenir. «La fille aurait-elle parlé? se demanda-t-il. Non. Impossible.
Ses yeux disent le contraire. » Mais il détesta encore plus Chambly, son curé et tous ses habitants.
— Tous ces Bédard ne sont qu’une belle bande de radoteurs, siffla-t-il.
— Ne blasphème pas, le rabroua son père. Notre curé est un pasteur juste et il a droit à tout notre respect. Mais j’avoue que je n’aime guère son autre frère, Pierre-Stanislas Bédard, qui vient d’être élu { la Chambre d’assemblée. Un fromenteur de troubles, toujours à hue et à dia avec monsieur de Bonne, le parent de mon épouse.
— Hum ! Permettez, colonel, que je ne partage pas votre opinion à propos du député Bédard, protesta Boileau.
Sacrelotte ! Voilà un homme hors du commun. Un érudit, un savant qui choisit de consacrer sa vie à défendre les Canadiens à notre Parlement du Bas-Canada. Mais il nous en faudrait plutôt une dizaine comme lui !
— Croyez-moi, Boileau, vous verrez que ce Parti canadien finira par mal tourner, riposta Rouville d’un ton sans réplique. Notre Bédard { nous se retrouvera curé d’une paroisse de mécréants si son frère de Québec persiste dans ses propos pernicieux, je vous le prédis.
Le vieux militaire détestait les discussions touchant la politique.
— Justement, voilà le curé, fît Rouville en apercevant messire Bédard suivi d’un enfant de chœur qui grelottait. Dites-moi, Bédard, qu’est-ce qui vous a pris ce matin ?
— Cela ne vous ressemble guère de clamer en pleine chaire que la paroisse est un repaire d’impies, ajouta monsieur Bresse.
— Des plans pour endiabler la populace ! renchérit le colonel, ce qui ne décontenança nullement le curé qui les observait avec circonspection.
— La bonne moralité de la paroisse est le plus grand de mes soucis, messieurs. J’espère que mon sermon fera les effçts que je souhaite qu’il fasse, répondit messire Bédard, impassible.
— C’est-à-dire ? fit Monsieur Boileau, avec un regard plein de suspicion.
Si Bédard voulait provoquer des remords chez l’agresseur de Marguerite, c’était bien mal s’y prendre. Le coupable allait s’enfoncer
encore
plus
profondément
dans
son
terrier, il en était convaincu.
— Rien d’autre que l’approche du carême, dit le curé, faussement innocent, convaincu que tous les pécheurs éprouvaient le besoin de se confesser. Il faut préparer les âmes au repentir, ajouta-t-il d’un ton docte et sans réplique.
— Parlant de carême, il ne sera plus possible de célébrer des mariages, n’est-ce pas ? insinua Boileau d’un ton entendu. Si cette dispense tarde trop, Talham devra payer pour une deuxième afin d’obtenir la permission de se marier pendant le carême. Et mon bel échafaudage
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