Marguerite
arriver.
L’été prochain, avant que René ne soit de retour, elle aurait trahi son serment et mit au monde l’enfant du péché.
Depuis qu’elle se savait enceinte, Marguerite égrenait ses tristes pensées, cherchant d’inutiles explications { son malheur. Il avait suffi de quelques minutes pour que sa vie bascule. Et pour couronner le tout, alors qu’elle était en pleine disgrâce, elle rompait la promesse faite à sa mère en allant chercher auprès de ses amies un peu de réconfort.
Mais c’était plus fort qu’elle, elle en ressentait l’ultime besoin. Emmélie, si raisonnable et si intelligente, saurait peut-être lui expliquer pourquoi un homme comme le docteur avait accepté de l’épouser, elle, une fille que d’autres considéraient comme souillée. «Mais c’est le péché d’un autre ! » hurlait dans sa tête une voix qui se révoltait. Et qu’allait-elle répondre à ses cousines, à toutes les questions qui viendraient certainement ?
Qu’importe, se dit-elle finalement. Dans quelques jours, plus rien ne serait comme avant. Elle deviendrait l’épouse d’un inconnu en conservant son terrible secret. Tiraillée entre la honte et l’incompréhension, la soumission et la révolte, Marguerite ressentait un grondement sourd qui la happait, la précipitait dans des émois tourmentés comme les rapides de la rivière Chambly pour l’engloutir { jamais.
L’amour, comme le célébraient si joyeusement les vieilles chansons de voyageurs, n’était pas pour elle.
Les jeunes filles étaient arrivées à destination. Marguerite prêtait une oreille distraite aux bavardages d’Emmélie et de Sophie qui la tenaient joyeusement par le bras tout en lui narrant la dernière déconvenue des demoiselles de Niverville qui avait amusé le village.
— Marguerite, tu n’écoutes pas, lui reprocha Sophie avec raison.
La jeune fille se força à sourire et entra avec Emmélie et Sophie dans la maison chaude et accueillante.
*****
Sur le parvis de l’église, Julie aurait bien voulu suivre les jeunes filles, mais le regard sévère de son père - qui avait annoncé qu’il rentrerait plus tard - lui intima de suivre sa mère au manoir. La carriole des Rouville filait déjà sur le chemin du Roi lorsque les derniers paroissiens sortirent de l’église.
— Pourquoi s’en retourner si vite ? demanda-t-elle à sa mère. C’est dimanche, après tout. Les demoiselles Boileau m’auraient certainement invitée { me joindre { elles si nous ne nous étions pas dérobées à la sauvette. Vous agissez toujours ainsi, se plaignit-elle en s’emmitouflant dans la chaude robe de carriole.
— Elles repartaient avec cette paysanne qui est leur cousine. Une Rouville ne doit pas fréquenter une fille de basse extraction, répondit sèchement madame de Rouville.
—J’aime bien la demoiselle Lareau. C’est une jeune fille charmante. Elle est très fréquentable, si vous voulez mon avis.
— Justement, ma fille, ton avis m’importe peu. Je sais ce que je fais et je ne veux plus que tu m’importunes avec cela, déclara madame de Rouville, furieuse d’être mise de côté par son mari.
Ces derniers temps, monsieur de Rouville passait beaucoup de temps avec Boileau. Les deux hommes arboraient des airs de comploteurs qui intriguaient la noble dame. Son mari lui cachait quelque chose, mais elle n’arrivait pas { lui soutirer la moindre confidence.
De son côté, Julie se serait contentée de bavarder avec les bourgeoises du village, puisqu’on lui interdisait de suivre les autres jeunes filles. Elle aurait peut-être appris des nouvelles de René Boileau. Mais comme toujours, elle subissait les contrecoups de la mauvaise humeur de sa mère qui n’aimait pas fréquenter les autres dames d’une classe inférieure { la sienne. Julie soupira. Elle menait l’existence la plus morne qui soit.
*****
Après la grand-messe, toute la paroisse s’attardait par petits groupes devant l’église pour échanger les dernières nouvelles.
— Je me demande quelle mouche a piqué Bédard pour nous servir un sermon pareil ! s’écria le colonel de Rouville, flanqué de son fils, en rejoignant Monsieur Boileau qui bavardait avec le marchand Joseph Bresse sur le parvis de l’église. Je comprends bien qu’il veuille démasquer l’infâme qui. .
— Il voulait sans doute ébranler une âme coupable, l’interrompit vivement Boileau pour lui rappeler qu’il fallait garder le silence sur une certaine
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