Marguerite
clairement: «nos filles n’ont rien { faire avec la pécheresse ! » La bonne dame en voulait terriblement à Marguerite, comme si cette dernière l’avait personnellement offensée; dans son «état» innommable, la jeune fille avait à tout jamais entaché la tendre affection qu’elle lui avait toujours manifestée, indifféremment de sa naissance et de son inimitié avec la mère. La belle éducation offerte avec tant de générosité n’avait donc servi qu’{ ça
! La dame Boileau en restait profondément ulcérée, évitant désormais tout propos concernant la famille Lareau, associant la déchéance de Marguerite à son appartenance à une classe inférieure. N’était-elle pas la fille de Victoire Lareau ? Tout en reconnaissant que cette grossesse immorale tombait { point nommé, puisqu’elle mettait irrévocablement fin aux intentions de son fils bien-aimé, cet avantage ne diminuait en rien le scandale abominable. Sans doute devrait-elle se confesser de s’être réjouie du malheur de son prochain, mais monsieur le curé comprendrait.
Pourtant, son époux ne tint nullement compte de son appel, pas plus qu’il ne prêta attention aux hésitations de François Lareau. Marguerite deviendrait madame Talham dans quelques jours et, à ce titre, ferait partie de leurs intimes. Inutile de blesser davantage la jeune fille en jouant les hypocrites et en vexant le docteur, par le fait même. Et puisque le plaisir de ses filles était l’une de ses grandes faiblesses, Monsieur Boileau donna aux jeunes filles sa bénédiction et tout fut dit.
— Mes filles, allez donc prendre une tasse de chocolat bien chaud avec Marguerite.
Puis, en empoignant François Lareau par les épaules, il ajouta: «Mon cher cousin, restez donc un moment à bavarder avec nous avant d’aller au faubourg, chez votre beau-frère Lagus. »
Les jeunes filles s’enfuirent en riant. Lareau n’eut pas le choix d’obtempérer tandis que, pétrie d’indignation, madame Boileau tournait le dos à son mari pour retrouver les douairières de la paroisse.
*****
Marguerite ne partageait pas la joie de ses cousines.
Malgré son manchon de laine et son épais manteau qui la protégeaient du froid, d’irrépressibles frissons la secouaient.
Des pensées contradictoires s’entrechoquaient dans sa tête.
Elle aurait dû faire comme les autres dimanches et assister
{ l’office du matin où elle n’aurait croisé personne, surtout qu’en pénétrant dans l’église avec son père et son frère, elle avait aperçu Ovide qui assistait { l’office divin, installé entre sa sœur et sa mère dans le banc de la famille Rouville.
Celui-ci se trouvait dans la rangée de gauche donnant sur l’allée du milieu, près des poêles qui avaient pour tâche désespérée de chauffer l’église glaciale. Il fallait donc passer près de la noble famille pour se rendre au banc des Lareau, situé dans les premières rangées en avant, près du banc des marguilliers. Lorsqu’il l’eut aperçue, Ovide avait ricané méchamment en voyant son air effaré. Julie avait gratifié son frère d’un coup de coude tout en souriant { Marguerite, qu’elle reconnaissait. Mais tout le long de la cérémonie, Marguerite imagina le regard mauvais d’Ovide de Rouville posé sur elle et fut incapable de se recueillir et de prier, alors qu’elle en avait tant besoin.
Plus tard, l’épouvantable sermon du curé lui avait fait amèrement regretter d’être venue. Elle aurait dû rester chez elle, { l’abri de tous. Même le docteur n’assistait pas { la grand-messe. Il était parti dans la paroisse de Belœil pour deux jours, lui avait-il appris lors de sa dernière visite.
Tout en marchant dans le froid avec ses cousines, Marguerite ravalait difficilement ses larmes. Elle se sentait terriblement seule. Enceinte par la faute de cet infâme Ovide de Rouville, elle avait trahi son amour pour René et devrait son salut { un homme bon, mais qu’elle n’aimerait jamais. Comme toutes les jeunes filles, elle avait imaginé le jour de son mariage: l’église remplie { craquer par la parenté, le joyeux repas de noces avec les invités et la danse, une fois le curé parti, au bras d’un gentil mari qui aurait eu les traits de René Boileau. Douloureusement, elle se rappela ce jour de l’été dernier, sa rencontre inopinée avec René au retour de la cueillette des framboises. Après l’été, il y avait eu l’automne. Cet automne qui n’aurait jamais dû
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