Marguerite
risquerait de s’effondrer.
— Il faut avoir confiance en notre divin maître, mon cher Boileau, répondit le curé d’un ton sibyllin. Messieurs, veuillez m’excuser, mais les demoiselles de Niverville m’attendent.
— Elles ne peuvent donc pas venir { l’église comme tout le monde, ces deux cervelles d’oiseau rare? grogna Rouville.
— Quel manque de charité, mon colonel ! gronda le curé. Les demoiselles sont souffrantes. Ces bonnes chré-
tiennes me mandent pour la confession et la communion.
Je ne fais qu’accomplir mon devoir de pasteur.
— Vous êtes trop bon, Bédard, rétorqua Rouville dans un sourire moqueur. Ces demoiselles sont pourtant toujours très en forme lorsqu’il s’agit d’accepter les invitations {
prendre le thé.
Le curé haussa les épaules avant de monter dans la carriole que le bedeau venait d’amener devant l’église.
— Bédard déraisonne, vous disais-je, insista Ovide de Rouville. Il faut se plaindre à Monseigneur.
Monsieur Boileau toisa le jeune homme. Autant il estimait le colonel de Rouville, autant il méprisait son fils.
— Jeune homme, déclara-t-il d’un ton sentencieux, sachez que notre curé est estimé en haut lieu. L’évêque lui-même le cite en exemple pour sa mansuétude et sa connaissance des Saintes Ecritures. On ne peut lui en vouloir de dénoncer les séducteurs impénitents, insista-t-il en scrutant Ovide de Rouville qui rougissait.
«Tiens, tiens, nota Boileau, soupçonneux. Ce jeune coq engrosseur de servantes n’a certainement pas la conscience tranquille. »
Le jeune coq en question se dressa sur ses ergots. Il n’allait tout de même pas se faire endêver* par un descendant de sang-mêlé, malgré ses beaux habits.
Boileau le détailla d’un air moqueur. Ovide allait répliquer lorsqu’un roulement de tambour annonçant le crieur se fit entendre. Tous les habitants se rapprochèrent, impatients d’entendre ce qu’allait leur apprendre Baptiste Roussel. Ce dernier grimpa sur un petit tabouret qu’il traînait toujours avec lui et lança d’une voix forte :
— La terre de la succession d’Edouard Benoît, de son vivant époux de Marie Delique, de trois arpents de largeur, ayant front sur le bassin de Chambly et d’une profondeur d’environ vingt arpents jusqu’{ la Petite Rivière, sera mise aux enchères par ordre du shérif Gray après trois annonces faites
trois
dimanches
consécutifs
à
Saint-Joseph-de-
Chambly.
L’annonce faite, le crieur colla l’avis du shérif sur la porte de l’église.
— Il était temps qu’on en finisse avec cette succession !
s’exclama Joseph Bresse. J’ai déj{ fait une proposition {
Gray la semaine dernière.
— J’avoue que j’y ai songé moi aussi, dit Monsieur Boileau, mais j’ai assez { faire avec la gestion de mes fermes.
Un nouveau roulement de tambour interrompit les conversations.
— Une grande dame du village a écarté son manchon de lapin. Il y aura une récompense pour celui qui le lui rendra en allant le rapporter au presbytère. Qu’on se le dise !
aboya encore le crieur juché sur sa tribune branlante.
Pressé, l’homme repartit aussi vite qu’il était venu.
Il devait se rendre { l’église d’en face, et arriver { temps pour la fin de la grand-messe de Pointe-Olivier. Quelques hommes le suivirent pour l’aider { faire descendre son cheval sur le bassin, à la hauteur du pont de glace.
— La terre de Benoît ne vaut rien pour la culture, confia Boileau à Bresse. Vous devriez laisser tomber.
— Je songeais plutôt à un lotissement. Ce grand emplacement situé tout près de l’église pourrait convenir pour bâtir plusieurs petites maisons, expliqua Bresse.
Surpris par la pertinence de cette réflexion - une idée qui ne lui avait jamais effleuré l’esprit - Monsieur Boileau examina son vis-à-vis d’un œil nouveau. L’homme était court de jambes et malgré ses trente-quatre ou trente-cinq ans, présentait déj{ un petit embonpoint { l’estomac. Ce matin, coiffé d’un chapeau de poil assorti { son manteau de castor, Bresse affichait une impressionnante aisance pour un fils d’habitant. C’était un homme pragmatique doublé d’un bon sens du commun. Délaissant la terre, il s’était tourné vers le négoce pour lequel il était particulièrement doué. En affaires, il ne manquait ni d’audace ni d’imagina-tion. Mine de rien, le jeune marchand accu-mulait discrè-
tement une petite fortune. On disait qu’il
Weitere Kostenlose Bücher