Marguerite
celui de quelqu’un d’autre. C’était. . le cheval de quelqu’un d’important ? demanda-t-il avec beaucoup d’hésitation.
Il y eut un court moment de silence.
— Il s’est fâché.
— Qui s’est fâché, ma fille ? Le cheval ?
— Non. Pas le cheval. Lui.
Le curé retenait son souffle. Elle allait enfin lui révéler le nom de l’ignoble individu qui entachait sa paroisse ! Par la sainte miséricorde de Dieu, il pourrait enfin le confronter, lui faire avouer sa faute, consulter l’évêque et l’obliger {
réparer le mal qu’il avait fait. Mais Marguerite s’était affolée et s’était tue.
— En taisant le nom du coupable, reprit prudemment l’ecclésiastique, tu le protèges. Tu te rends même complice de son péché.
— Ce n’est pas vrai, protesta Marguerite. Mais j’ai si peur, monsieur le curé. Si je parle, il me tuera.
— Mais non, ma pauvre fille, personne ne te tuera.
Marguerite se réfugia dans un silence résolu, tentant de retenir les larmes qui coulaient sur ses joues. L’insistance du curé ravivait la douleur et l’impuissance. Elle brûlait de se confesser, de se décharger de son terrible secret. Elle resta longtemps sans bouger, indécise. Ses genoux lui faisaient mal.
Ah ! Si seulement le docteur était là ! Il saurait lui dire quoi faire.
Mais Marguerite était seule avec sa conscience et le curé.
Elle n’avait pas le choix. Elle devait avouer pour éviter la damnation éternelle. Alors, pour la première fois, et avec un nombre incalculable de sanglots, elle raconta à messire Bédard ce qui lui était arrivé le jour de la Saint-Martin.
Plus tard, agenouillée, elle récita des rosaires et des Pater noster de pénitente en pleurant, impassibles patenôtres employées à guérir son âme mortifiée.
*****
Une fois seul dans son cabinet, le curé s’agenouilla {
son tour et pria longuement. « Seigneur, éclairez-moi, épargnez-moi. Je Vous implore humblement de m’envoyer Vos divines lumières. Seigneur, ne Vous ai-je pas toujours servi avec célérité ? Suis-je le bon pasteur pour cette paroisse ? »
Lorsqu’il se releva enfin, le curé avait froid. Le feu mourait lentement dans le poêle. Il l’alimenta et, au bout d’un moment, les braises s’enflammèrent. Un frisson terrible le fit tituber.
Jean-Baptiste Bédard se laissa choir dans son fauteuil, atterré. Il médita un long moment sur les bienfaits de la confession auxquels, pourtant, il avait toujours cru fermement. Faire preuve de contrition rendait les hommes meilleurs.
Les révélations de Marguerite avaient soulagé sa paroissienne, croyait-il. La jeune femme avait désormais l’âme en paix, se disait le curé pour s’en convaincre, et recevrait la bénédiction nuptiale en état de grâce. Mais ses aveux l’avaient plongé dans une profonde perplexité. En réalité, messire Bédard était effrayé par le contenu de cette confession et mesurait son impuissance.
Il connaissait désormais le nom du coupable. Mais Ovide de Rouville résidait dans une autre paroisse. Il lui était donc impossible de soutirer des aveux détaillés en confession.
Alors, que devait-il faire? Ecrire { son évêque pour l’en avertir? Si le curé pouvait demander conseil, dans ce cas précis, il lui fallait toutefois taire le nom du criminel, à cause de la confidentialité immuable du sacrement de la confession. Il ne pouvait trahir sa pénitente qui avait fait des aveux.
Et il ne pouvait accuser ouvertement le coupable, malgré les péchés graves de fornication et de brutalité. Dans sa grande bonté, le curé ne pouvait croire { tant d’infamie, quoiqu’il avait
déjà
entendu
des
récits
peu
reluisants
à
propos de la famille Rouville.
Melchior de Rouville avait un frère naturel, fruit du commerce illicite de son père, René-Ovide, avec une servante. La famille avait élevé discrètement l’enfant et, finalement, l’avait bien marié. Jean-Baptiste Hertel de Rouville, le premier de toute cette lignée, avait été autrefois traîné devant les tribunaux pour un crime semblable. «Les hommes de cette famille, tout nobles qu’ils soient, n’ont jamais été des enfants de chœur», se dit messire Bédard avec amertume.
Monsieur Boileau l’avait prévenu, pourtant, de ne pas chercher à connaître le nom du responsable. Puisque la jeune fille serait bien mariée et son enfant, protégé, pourquoi avait-il voulu chercher plus loin ? Maintenant, il était lui-même
Weitere Kostenlose Bücher