Marguerite
l’angélus du soir. La carriole déposa les Talham devant une grande maison à étages qui donnait sur la place en faisant face { l’église Notre-Dame de Montréal. Le Montréal Hôtel, qu’on appelait couramment « chez Dillon», ne ressemblait en rien { l’auberge de Longueuil, où ils s’étaient arrêtés en chemin. Tout en pierres grises comme 1# plupart des maisons montréalaises, l’hôtel comportait deux étages s’élevant au-dessus du rez-de-chaussée.
En pénétrant { l’intérieur d’une vaste pièce, Marguerite fut transportée dans un autre monde. Un portrait du roi George III rappelait la fidélité de l’hôte { la couronne anglaise. Des tapisseries
suspendues
sur
les
murs
représen-
taient des scènes étranges peuplées de personnages à turbans, d’éléphants, de singes et d’édifices aux toits ronds comme des boules qui se terminaient par de drôles de pics. Même chez Monsieur Boileau, elle n’avait jamais rien vu de tel.
— Ce sont des minarets, comme on en voit en Orient, expliqua Talham à sa jeune épouse intriguée. Les Britanniques ont des colonies dans des pays lointains et accumulent des objets qui viennent de partout dans le monde, comme cette tapisserie.
Un homme assez grand venait à leur rencontre, remarquable par son épaisse chevelure grise et une belle veste à la mode d’autrefois. Il s’agissait de Richard Dillon.
— Doctor Talham, how are y ou 1 ?
Le propriétaire du Montréal Hôtel approchait de son grand âge. Il était arrivé au Canada en 1786, appartenant à la suite de Lord Dorchester, lorsque l’ancien gouverneur Guy Carleton était revenu au pays pour une deuxième fois, avec le titre de baron dans ses bagages. L’énigmatique gouverneur avait laissé un souvenir confus aux Canadiens.
Les uns se rappelaient un homme froid et méprisant, tandis que les autres affirmaient qu’il leur avait été sympathique.
Lord Dorchester était reparti depuis longtemps, mais Dillon avait choisi de rester au Bas-Canada
— Ifs a great pleasure to receiveyou andyouryoung wife at my humble establishment! Welcome, Mrs. Talham 2.
— The pleasure is ail oursK
La réponse de Talham fit sourire l’aubergiste. Avec son accent français, le docteur prononçait hours.
— Vos chambres sont prêtes selon vos instructions, Doctor, reprit l’aubergiste dans son français cassant. Nous allons vous y mener. Please, come in. Show our honoured guests to their rooms , ordonna-t-il à un employé en claquant des doigts.
Le Montréal Hôtel plaisait aux visiteurs les plus difficiles.
Sa bonne réputation en faisait le favori des Britanniques qui séjournaient au pays, des gens fort exigeants sur la propreté des lieux et l’ordre { la manière anglaise. Talham appréciait ce confort qui lui rappelait son séjour en Angleterre. Cette fois-ci, il découvrait le plaisir de surprendre et de gâter son épouse qui, en ce moment, n’avait pas assez de ses deux yeux pour découvrir le nouveau décor. Une irrépressible soif d’apprendre chassait toute cette gêne qui la tourmentait depuis le matin.
Mais lorsqu’ils gravirent le long escalier qui menait aux étages en suivant l’engagé de Dillon, un sentiment de panique envahit la jeune femme. Le moment fatidique était arrivé. Elle se retrouverait seule avec son mari dans une petite chambre. Pourtant, le valet s’arrêta devant deux portes côte à côte.
— Nous y voilà, Marguerite, lui dit son mari non sans remarquer de l’étonnement dans ses yeux. Vous prenez une chambre, et moi, je dormirai dans l’autre.
Elle entra dans la première pièce qui comportait un fauteuil et une petite table sur laquelle il y avait un martinet et un bassin avec son aiguière. Au mur, on avait joliment accroché un miroir, alors que le pot de chambre avait été glissé discrètement sous le lit. Un poêle, qu’on avait pris soin de chauffer avec du charbon, complétait l’ameublement. Quelqu’un avait posé son modeste paquet sur le lit de plumes, véritable luxe pour une auberge où, le plus souvent, on n’offrait aux voyageurs qu’une malodorante paillasse. De la fenêtre, on pouvait observer l’agitation qui régnait sur la place publique.
— Installez-vous. Une servante apportera de l’eau pour vous rafraîchir. Je serai juste { côté, vous n’avez qu’{ frapper à la porte si vous avez besoin de moi. Reposez-vous, la journée a été éprouvante. Je reviendrai vous chercher plus tard. Nous souperons {
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