Marguerite

eux, brandissant sa canne en guise de salut. Des cheveux en broussaille s’éparpillaient sous le chapeau haut-de-forme en castor malgré la bourse à cheveux destinée à les retenir, et son large manteau qu’aucune ceinture ne retenait battait au vent.
    — Notaire Papineau ! s’exclama Talham en le reconnaissant. Quel plaisir ! Je vois que vous avez bien reçu ma lettre vous annonçant mon séjour à Montréal.
    — Ah ! Ah ! C’est la preuve que la poste fonctionne bien, malgré tout ce qu’on en dit, soutint l’homme en avançant.

    Mais présentez-moi à cette belle créature, que diable !
    — Permettez, mon ami. Ma chère Marguerite, voici le notaire Joseph Papineau, un confrère de votre cousin Monsieur Boileau, du temps où il était député à la Chambre législative. Monsieur Papineau, mon épouse, la demoiselle Marguerite Lareau.
    — Mais si je m’attendais ! Ainsi, madame était l’heureux événement annoncé ? Mon ami, s’exclama-t-il avec attendrissement. Je me réjouis de vous retrouver en jeune marié !
    — Vous ne pouvez pas mieux dire. Le mariage est tout neuf de ce matin.
    — Par-dessus le marché ? Cela explique ce regard de biche effarouchée dans de si beaux yeux ! Mes hommages, madame !
    Le drôle de bonhomme salua de manière exagérée en soulevant son chapeau devant Marguerite qui suivait la conversation d’un air ahuri. Elle s’inclina devant ce géant à la voix tonitruante.
    « Si ça continue comme ça, se dit-elle, tout Montréal sera au courant de nos noces avant la fin du jour ! »
    — Une parente de Boileau, dites-vous ? Le bougre ! Il m’a écrit dernièrement pour me demander si je connaissais un bon jardinier, tout en me mentionnant votre prochain séjour { Montréal. Mais il ne m’a rien dit concernant votre mariage avec sa nièce. Peste soit de Boileau! Mon cher Talham, je vous souhaite bien du bonheur. Mais ne restez pas là au grand vent, vous allez geler.. vos attributs virils. .
    ce dont vous avez grand besoin un jour de mariage. Ha ! Ha ! Ha !
    fit-il, fier de son trait d’esprit devant le docteur qui sourcillait.
    Le goût prononcé du célèbre notaire de Montréal pour le ton grivois ou les compliments galants de l’autre siècle était connu. «Suivez-moi, un attelage vous attend», ajouta-t-il.
    Le docteur et Marguerite emboîtèrent le pas au notaire Papineau. Ils quittèrent le rivage pour traverser une étroite et longue rue perpendiculaire à la rive où se pressaient des marchands et des négociants, des gens { l’allure affairée pour qui le cœur du monde battait l{, sur la rue Saint-Paul, à Montréal.
    — C’est ici que se déroulent les plus importantes transactions d’affaires de tout le Bas-Canada, expliqua le docteur à Marguerite.
    — Et même celles du Haut-Canada, ajouta le notaire.
    Montréal est toujours la capitale de la fourrure. On y trouve les riches marchands de la Compagnie du Nord-Ouest qui envoient des canots dans l’Ouest pour faire la traite.
    — Certains affirment que Montréal est le pivot commercial entre les Etats-Unis et le Canada.
    — Et ils ont raison, docteur ! Dans dix ans, cette ville doublera, voire triplera sa population. Je vous le prédis. Le progrès est à nos portes.
    Emporté par son enthousiasme, le notaire Papineau faisait dangereusement tournoyer sa canne dans toutes les directions comme pour montrer la vision qu’il avait de la ville de l’avenir.
    — Nous reviendrons demain rue Saint-Paul, dit le docteur { l’intention de son épouse. Vous ferez la connaissance de marchands chez qui vous pourrez vous adresser pour faire nos commandes, plus tard, lorsque nous serons de retour chez nous.
    Marguerite se troubla à cette réflexion qui évoquait son rôle d’épouse, ne sachant trop ce que cela signifiait. Tout en déambulant, le trio passa près d’une petite église.

    — Voici la chapelle Bonsecours, expliqua le notaire à Marguerite, qu’on a reconstruite en 1771 sur les ruines de l’ancienne érigée par Mère Marguerite Bourgeoys. Mon épouse et ma fille aiment aller y faire leurs dévotions. Vous y mènerez votre épouse, docteur, afin qu’elle prie la Vierge miraculeuse, ramenée de France par Mère Bourgeoys. Ainsi, elle vous donnera de nombreux enfants.
    Marguerite rougit violemment.

— Notaire Papineau, fit le docteur l’air faussement scandalisé, la jeune madame Talham n’est pas habituée {
    cette verdeur de langage. Les mœurs sont simples dans nos