Marie Leszczynska
l’on parle de cette comtesse de Mailly pour être la maîtresse du roi, mais la chose paraît certaine. […] Cette intrigue se mène toujours secrètement parce que le cardinal retient ; mais il n’est pas possible que les gens de cour et les officiers ne voient pas. […] On dit aussi qu’elle va aux soupers particuliers de la Muette, avec les seigneurs, sans autres femmes. […] On dit que le roi donne à la comtesse six mille livres par mois. Elle pourrait bien faire son mari duc, sans que personne y trouvât à redire. C’est un nom reconnu parmi nous comme de la première noblesse de ce pays-ci. »
Tout Paris se passionne pour les amours du roi. Le petit peuple trouve l’attitude de Louis XV plutôt rassurante ; quant aux chansonniers, ils ajoutent un couplet à la chanson de La Béquille du père Barnabas :
« Notre monarque enfin
Se distingue à Cythère ;
De son galant destin
L’on ne fait plus de mystère.
Mailly, dont on babille,
La première éprouva
La royale béquille
Du père Barnabas ! [2] »
Le 1 er décembre 1737, Louis XV perd le comte de Toulouse, le dernier lien qui l’unissait à ses parents et à Louis XIV, le seul proche qui pouvait lui parler comme à un fils. Effondré, le roi s’enferme dans sa chambre pour cacher son chagrin. Il s’éloigne un temps de Madame de Mailly
, désappointée par les sautes d’humeur de son amant qu’elle ne peut comprendre. Marie partage la souffrance du roi mais reste discrète et attentive, bien décidée à tout mettre en oeuvre pour accomplir son voeu en donnant un nouveau duc d’Anjou à la France. À l’approche des fêtes de Noël, Louis XV vient passer auprès d’elle les nuits du 22 et du 23 décembre. Barbier apprend que « le roi a couché avec la reine […] avec préparation de bains, dans le dessein d’avoir un prince ».
Des ragots et un cadeau
Le jour de Noël 1737, le roi prend froid avant de communier. Comme il a de la fièvre, les médecins le saignent, lui interdisent la chasse et le consignent au lit. Un mois plus tard, il se porte mieux mais ne chasse toujours pas. Barbier fait état de commérages : « Il ne paraît plus douteux que le roi n’ait attrapé une galanterie. L’on croit qu’elle lui a été donnée par la fille d’un boucher de Poissy ou de Versailles, que le roi a trouvée fort jolie et qu’il s’est fait amener par Bachelier. […] On ne dit point comment Madame de Mailly se sera tirée de cette affaire, et si elle en aura eu sa petite part. »
Marie tente d’ignorer ces ragots. Se sentant coupable, Louis XV se soucie tout à coup du confort de son épouse et commande à la surintendance des Bâtiments la réfection de ses appartements. Les terrasses sont agrandies et embellies ; la petite galerie longeant le Grand Cabinet de la reine est modifiée et devient la Galerie verte, après que Martin y pose son célèbre vernis. Comme Marie adore les fleurs et les enfants, Boucher en peint partout. Les nouveaux décors et les plafonds, signés Girard, Verlet et Perrot, font entrer le soleil et la nature dans les pièces. La reine choisit les tissus sur cartons, dont un brocart de Lallié au décor de fleurs d’or sur fond cramoisi. Et pendant que Boucher immortalise les enfants royaux, Coypel exécute de nouveaux tableaux pour son oratoire.
Cet ensemble s’harmonise admirablement avec les travaux entrepris en 1730 dans la chambre de la reine. Les plafonds à compartiments, initialement peints pour Marie-Thérèse
, ont été transformés par Boucher en grisaille d’or où s’entrelacent les chiffres de Louis XV et de Marie ; quant aux quatre médaillons des voussures, exécutés en camaïeu, ils représentent les vertus de la reine : charité, abondance, fidélité et prudence. Les marbres des murs ont cédé la place à des lambris de bois, blanc et or. Sur les dessus-de-porte, Natoire
et De Troy ont peint La Jeunesse et la Vertu présentant Mesdames Élisabeth et Henriette
à la France et La Gloire s’empare des enfants de France .
Avec un tel cadeau, Louis XV veut-il reconquérir le coeur de Marie ? Inutile, car il ne l’a jamais perdu. Veut-il simplement faire oublier ses écarts ? Peut-être. Mais Marie Leszczyńska évite de s’interroger. En ce printemps 1738, elle constate que son époux semble plus serein et plus proche d’elle. Pour l’heure, cela suffit à son bonheur. Et, le 26 mai, lendemain de la Pentecôte, Louis XV la rejoint dans sa
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