Marie Leszczynska
Les jeunes mariés se passeraient bien de ce bal : tous deux éprouvent une sainte horreur de ces fêtes bruyantes, des jeux et des cérémonies officielles. Seule la reine ne porte pas de masque. Alors que l’assistance s’interroge sur l’absence du roi, la porte de ses appartements s’ouvre à double battant pour laisser passer huit étranges silhouettes qui se dandinent comme sur un échiquier. Ce sont des ifs bien verts, inspirés des arbres du parc. Louis XV se cache parmi ces déguisements. Mais lequel est-il ?
Dès leur entrée dans le bal, les ifs sont poursuivis par une cohorte de prétendantes masquées, prêtes à tout pour remplacer la duchesse de Châteauroux. Quelques observateurs remarquent l’attention que porte l’un des ifs à une ravissante Diane chasseresse, comme le dépeint la gravure de Cochin qui immortalisa cette soirée. Les rares initiés qui ont reconnu le roi et la jeune femme prononcent son nom à voix basse : Madame d’Étiolles. « Simple bourgeoise », déplorent les uns ; « elle a partie liée avec la finance », précisent les autres. Les bals se poursuivent les jours suivants, sans la présence de la jeune beauté.
Le dimanche 28 février, le dauphin quitte de mauvaise humeur le bal de l’Hôtel de Ville de Paris. La foule y est trop dense. Au moment de s’éclipser, le jeune marié tombe nez à nez avec son père qui se dirige vers un salon privé où l’attend sa ravissante partenaire du bal masqué. Le marquis de Valfons, qui s’y trouvait déjà en galante compagnie, raconte dans ses Souvenirs : « À peine entré, je vis arriver Madame d’Étiolles, avec qui j’avais soupé quelques jours auparavant ; elle était en domino noir, mais dans le plus grand désordre, parce qu’elle avait été poussée et repoussée comme tant d’autres par la foule. Un instant après, deux masques, aussi en domino noir, traversèrent le même cabinet ; je reconnus l’un à sa taille, l’autre à sa voix ; c’étaient M. D*** [1] et le roi. » Peu de temps après, se frayant un passage dans la foule, les trois dominos noirs s’éclipsent. Le roi ne rentrera à Versailles que le lendemain matin, vers neuf heures.
Ravissante, raffinée et talentueuse
À la cour, on s’interroge sur la nouvelle conquête de Louis XV que personne ne connaît. Jeanne-Antoinette est née en 1721. C’est la fille de Louise-Madeleine de La Motte et de François Poisson, proche du fermier général Le Normand de Tournehem et, surtout, homme de confiance des frères Pâris
, les financiers du royaume. Tournehem est le parrain de la demoiselle Poisson… mais la rumeur prétend qu’il serait bien plus que cela ! Un autre ragot en fait la fille adultérine de Pâris de Montmartel
, le banquier de la cour.
Malgré une mère aux moeurs légères et un père condamné pour fraude qui a fui en Allemagne, Jeanne-Antoinette a reçu une très bonne éducation grâce à son parrain. Il a su encourager ses dons artistiques en lui procurant les meilleurs maîtres de l’époque et l’a mariée à vingt ans à son neveu, le financier Charles Guillaume Le Normant d’Étiolles
. Heureux et riche, le jeune ménage s’est installé confortablement à Paris, rue Croix-des-Petits-Champs. Deux enfants sont nés de cette union : un garçon qui n’a pas survécu et une fille, Alexandrine
.
Jeanne-Antoinette mène une vie agréable. Elle partage son temps entre son hôtel particulier, les salons parisiens à la mode et le château d’Étiolles, blotti à l’orée de la forêt de Sénart. Dans ce décor champêtre, ses invités découvrent sa maîtrise de la conversation, apprise dans le salon de Madame de Tencin
et ses multiples talents de comédienne. Rentrant enthousiaste de l’Opéra, le président Hénault,
grand ami de la reine, écrit à Madame du Deffand : « Je trouvai là l’une des plus jolies femmes que j’y aie jamais vues ; elle sait la musique parfaitement, elle chante avec toute la gaieté et tout le goût possibles, sait cent chansons, joue la comédie à Étiolles sur un théâtre aussi beau que l’Opéra où il y a des machines et des changements [2] . »
Dufort de Cheverny la dépeint, lui aussi, dans l’éclat de ses vingt-trois ans : « Elle était d’une grande taille de femme, sans l’être trop. Très bien faite, elle avait le visage rond, tous les traits réguliers, un teint magnifique, la main et le bras superbes, des yeux plus jolis que grands,
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