Marie
Il se peut bien que je sois le seul survivant de la famille Prochownik.
Grâces en soient rendues à notre voisine Maria.
J’espère
que viendra un jour où les chrétiens la béniront comme une sainte. Moi, Juif,
je ne peux qu’espérer qu’elle restera dans la mémoire des hommes comme une
Juste. Une Juste parmi les nations. Que l’Éternel, Dieu d’amour et de
miséricorde, la protège.
Si on
retrouve ces feuillets, je veux qu’on le sache : Maria a sauvé des
centaines d’enfants juifs. Elle a été déportée par les nazis – que
leur nom soit maudit pour l’éternité – comme une Juive, avec son fils
Jésus, qu’elle appelait Yechoua, et son époux, le père de son fils. Père et
fils ont péri dans les camps. Elle, elle en a réchappé avec l’aide du réseau
catholique Zegota.
« Il
y eut dix générations d’Adam à Noé, dit le Traité des Pères, pour faire
connaître la longue patience de Dieu, alors que toutes les générations
s’acharnaient sans discontinuité à Le provoquer, avant qu’il ne les engloutisse
sous les flots du Déluge. »
Combien de
temps me reste-t-il à vivre ? Seul l’Éternel, Maître de l’univers, le
sait.
Seul
l’Éternel sait aussi, comme écrit plus haut, s’il reste des Prochownik à part
moi. Nous avons été, dans les temps anciens, une famille illustre. Selon la
légende que m’ont transmise mon père et mon grand-père, notre ancêtre Abraham
(je porte son nom) avait été couronné roi en 936 de notre ère par des tribus
slaves païennes qui venaient d’accepter le Christ. La tribu la plus importante
était celle des Polanes et notre famille vivait parmi eux depuis plusieurs
générations.
Le
Seigneur Dieu de la Sagesse inspira sans doute l’esprit d’Abraham, qui refusa
l’honneur d’être roi. Il déclara aux Polanes que ce n’était pas à un Juif de
régner sur des chrétiens. Ils devaient trouver leur chef parmi les membres de
leurs propres familles. Il leur proposa de désigner l’un des paysans qui
produisait le plus de blé. L’homme s’appelait Mieszko, issu de la famille des
Piast. Les Polanes suivirent son conseil et le paysan devint « Miesko
premier ».
La
dynastie des Piast fut longue et s’est toujours bien conduite envers les Juifs.
Du moins
si on en croit notre légende familiale.
Pour mon
grand-père Salomon ; cela ne faisait pas de doute. C’était la vérité
vraie. La seule fois où il a levé la main sur moi, c’est le jour où je me suis
moqué de lui en prétendant que l’ancêtre Abraham n’avait été qu’un pauvre
bottier sans le sou.
Pour
grand-père Salomon, la preuve irréfutable de la grandeur passée de notre
famille était tout entière contenue dans notre trésor familial : le
rouleau qu’Abraham Prochownik aurait reçu des Piast en témoignage de
reconnaissance.
Le jour de
sa bar-mitsva, chaque garçon, dans notre famille, avait le droit d’ouvrir
l’étui, de déployer un peu le rouleau et d’en contempler l’écriture.
Selon
grand-père Salomon, ce rouleau, les Piast le reçurent des mains de saint
Cyrille en personne au moment de leur conversion. Ce qui y est inscrit n’est
qu’une copie. Le rouleau original était rédigé en hébreu et en grec. Mais copie
ou original, ils contiennent la même chose : l’évangile de Miryem de
Nazareth, Marie, mère de Jésus.
Grand-père
Salomon racontait qu’Hélène, la mère de Constantin I er , l’empereur
de Rome devenu chrétien, le rapporta de Jérusalem. Le rouleau d’origine, en
papyrus comme cela se faisait à l’époque, la mère de l’empereur affirmait que
des femmes chrétiennes le lui donnèrent lorsqu’elle vint à Jérusalem pour
édifier l’église du Saint-Sépulcre, à l’emplacement même de la crucifixion de
Jésus. C’était en 326 de notre ère.
Quelques
siècles plus tard, sous l’empereur byzantin Michel III, le grand évangélisateur
Cyrille aurait emporté une copie du rouleau lors de son voyage en Khazarie en
compagnie de son frère Méthode, en l’an 861. Il voulait convertir les Juifs
khazars au christianisme. Que le rouleau fût le témoignage de la parole d’une
mère juive ne pouvait que l’aider dans son entreprise chez les Khazars,
espérait-il.
Par
bonheur, le Saint, Dieu d’Israël, protégea le roi des Khazars contre la
tentation.
Cyrille
alors décida de convertir les peuples païens qui se déplaçaient tout autour du
Caucase et de la mer Noire. Ce que racontait le rouleau
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