Marin de Gascogne
trois semaines plus tôt, tremblaient à l’idée d’une guerre civile se gaussaient d’une campagne où l’on n’avait même pas tiré un coup de feu.
A la garde nationale, on prenait les choses plus au sérieux et l’on mesurait toute l’importance de l’affrontement qui avait amené les aristocrates de Montauban à s’incliner devant la loi du nouveau pouvoir. La leçon était bonne et on en tirerait profit. Mais, déjà, on avait d’autres préoccupations. Dans un mois, ce serait l’anniversaire de la prise de la Bastille, qui serait commémoré à Paris par un immense rassemblement fédérant ensemble toutes les communautés de la Nation. Il fallait mobiliser l’opinion autour de l’événement, faire élire des délégués, organiser leur voyage.
Néanmoins, il convenait que l’affaire de Montauba n fû t consignée pour l’histoire. La charge en revenait à Tignous, détenteur du cahier jaune. Le lendemain du départ des troupes, Bernard et Pouriquète le regardaient ouvrir son cahier à une page vierge et choisir sa meilleure plume. Tout en la faisant courir sur le papier, il lisait à haute voix le compte-rendu de l’aventure : « Les Régiment Patriotique de L’armée Bordelaise ont passé à Langon Pour aller a Monthauban Les 17 et 19 May 1790 aux nombre de quinze cens homme avec L’artillerie aient quatre piesse de Cannon et deux Bathau chargé de Mortié et cannon Bombe et Boullet et faire elargire les Bons Patriotte détenu dans leurs Prison de Monthauban et ils ont Repassé a Langon a leur Retoure Le 6 et 7 Juin 1790.
CHAPITRE III :
L’INONDATION
Le 27 juin 1790, on désigna les soixante-trois députés qui représenteraient le canton de Bazas à Paris, lors de la Fête de la Fédération. Pierre Jude et François Labat furent parmi les premiers à partir. Ils rentrèrent un mois plus tard, éblouis par le faste de la célébration et enthousiasmés par la ferveur sereine du grand rassemblement national.
Le fils de François Labat, Capdemule, à qui son père laissait maintenant tout le soin des couraus, manifestait chaque jour avec plus de hargne son hostilité à la Révolution. Perrot Rapin, sans doute pour se démarquer de son frère Tignous, serviteur zélé de la Nation, affectait envers les événements une indifférence teintée de scepticisme. Hazembat était plus proche de Capulet Dubernet qui s’estimait satisfait des réformes, mais ne souhaitait pas qu’on allât beaucoup plus loin.
Certains allaient infiniment plus loin, comme Boyreau qui avait troqué son surnom de Gavache contre celui de Brutus et prônait ouvertement le partage des terres, l’abolition de la monarchie, la proclamation de la dictature, allant même jusqu’à demander la peine de mort pour les tyrans.
La Gigasse appareilla le 16 août et fit coup sur coup trois voyages à Aiguillon, Agen et Tonneins. Pendant ces deux mois, Bernard ne passa au total que huit jours à Langon. Chaque fois, il allait voir Pouriquète qui ne parlait plus de sa fleur de vanille, mais l’embrassait toujours aussi tendrement. Capsus avait enfin obtenu de son père la promesse d’être mis en apprentissage dès la prochaine campagne sur le courau de Bourrut, le fils de Michelot Escarpit.
La vraie vie de marin sur la Garonne était assez différente de celle qu’avait connue Bernard lors de ses premières expériences. Il ne s’agissait plus de flâner en prenant des leçons ou de mettre la main à la pâte çà et là. Le courau était une chose vivante, rétive et fragile, qu’il fallait à la fois dompter et défendre contre cette autre chose vivante, sournoise et féroce, qu’était le fleuve. Chaque geste avait son importance vitale, chaque erreur pouvait signifier la mort immédiate.
Hazembat l’avait expliqué à Bernard.
— L’ennemi du marin, c’est le rivage. Il y a des naufrages en haute mer, mais ils sont rares. La plupart des vaisseaux se perdent à la côte, échoués ou fracassés sur les rochers. Sur l’océan, on a tout l’espace qu’on veut pour manœuvrer. Sur la rivière, on est prisonnier et il n’y a qu’une encablure ou deux entre la vie et la mort.
Au début d’octobre, la Gigasse passa trois jours à Langon. Etienne Roudié venait de fonder un club monarchique. Angel Labat étant alors sur la Garonne, on ne savait pas encore s’il défierait son père au point d’en faire partie, mais on notait la présence de quelques négociants et
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