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Marseille, 1198

Marseille, 1198

Titel: Marseille, 1198 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean (d) Aillon
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serraient des corps de bâtiments disparates
ne laissant apercevoir que leur toiture et un mur d’enceinte en pierres sèches
percé d’archères. Beaucoup plus loin, sur une éminence de la barre rocheuse, se
dressait un château bas et massif avec des tours rondes à chaque angle et une
tour carrée en façade. C’était un castella grossier, sans ouverture apparente,
difficile d’accès avec les marais alentour [20] .
    De l’autre côté du chemin d’Arles, au nord, des
rochers blancs escarpés et dentelés barraient l’horizon. Pour arriver au
château des Baux, on lui avait dit de suivre la rivière jusqu’à une grande
table rocheuse d’où dépasserait une tour crénelée. Il hésitait. Le ciel était
sombre. Dans une heure, il ferait nuit. Peut-être neigerait-il. Si on ne le
recevait pas au château, il devrait passer la nuit dehors, avec les loups. Il
n’en avait aucune envie.
    C’est alors qu’il vit un prêtre sortir du prieuré,
marquer un instant sa surprise en le découvrant, puis rester immobile,
l’observant avec une sourde inquiétude. Les voyageurs isolés n’étaient pas
fréquents. Il n’avait rencontré personne depuis Arles.
    Il sourit pour rassurer le prêtre et donna un
léger coup de talon à son cheval pour le faire avancer. La bête, fatiguée,
obéit avec réticence.
    — Bonjom, pare  ! Loué soit
Jésus-Christ ! Savez-vous où je pourrais passer la nuit ? lança-t-il
avec chaleur, en langue d’oc.
    Le religieux ne répondit pas tout de suite, ne
cachant pas sa méfiance. C’était un petit homme tout fripé, en hérigaud à
capuchon, qui savait que les voyageurs n’apportaient que le malheur. Ceux qui
étaient seuls n’étaient souvent que des maraudeurs à la recherche d’une
picorée. Celui-là, il ne parvenait pas à deviner quel genre d’homme il était.
Ce n’était pas un marchand, car ils voyageaient en mule avec leurs
marchandises, et rarement seuls ; ce n’était pas un pèlerin, car ils
allaient à pied ; ce n’était pas plus un religieux, puisqu’une lourde
épée, au pommeau épais et à la large garde, pendait à l’arçon de sa selle.
    En vérité, avec son gambison en cuir treillissé
sur une étoffe rouge rembourrée, comme en portaient sous leur haubert les
hommes d’armes et les chevaliers, il avait tout du guerrier sauf qu’il ne
portait ni broigne, ni haubert, ni bassinet, ni hache de guerre. Sa casaque,
fermée par des aiguillettes, descendait jusqu’à mi-cuisse et, dessous, ses
trousses étaient écarlates. Il avait des heuses [21] de cuir rouge,
serrées par des boucles de fer, qui lui montaient aux genoux et un hoqueton de
laine grise, sans manches, mais à capuchon.
    Le regard du prêtre s’égara sur les bagages du
voyageur : deux grosses sacoches attachées sur la croupe du cheval par des
sangles et une boîte de chêne ciselée, serrée contre la bâte arrière de la
selle par des lanières de cuir. La selle elle-même était en bois couverte de
cuir, avec des bâtes hautes d’où pendaient de larges étriers. Ce n’était pas
une selle de chevalier, plutôt un siège confortable fait pour de longs voyages.
    — Ainsi soit-il ! répondit enfin le
prêtre en ajoutant : D’où venez-vous ?
    — D’un peu partout, pare , d’où on veut
de moi et de ma musique. Le Quercy… Limoges, répondit évasivement le cavalier.
Je ne suis qu’un troubadour.
    Le curé désigna la boîte.
    — La musique ?
    — C’est le coffret de ma vielle à roue.
    — Mais vous jouez aussi de l’épée ?
ironisa le prêtre.
    — À cause des loups et des brigands, pare  !
sourit le troubadour.
    Quel âge pouvait-il avoir ? Avec son épaisse
barbe, c’était difficile à dire. Il était jeune, mais paraissait bien sûr de
lui pour son âge. Ses yeux noirs, vifs et perçants, de part et d’autre d’un nez
fortement busqué, lui donnaient un vague air d’oiseau de proie et racontaient
toute une histoire de dangers affrontés et vaincus. Sa taille était moyenne et
ses cheveux très courts, noir bleuté sous un bonnet sombre, témoignaient de son
origine méridionale. Le regard du prêtre s’attarda un instant sur ses mains,
mais l’homme portait des gants de cuir.
    Une fine cicatrice lui barrait le front jusqu’au
cuir chevelu et lui donnait un air féroce tempéré pourtant par un sourire
chaleureux. Un coup d’épée ? Il se dégageait de lui une sorte de hardiesse
tranquille, de force, mais aussi de douceur. Jamais

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