Marseille, 1198
s’étaient
organisés en milices. La plus puissante avait été les Capuchonnés, des
laboureurs mystiques armés par Philippe II qui avaient écrasé les
Cottereaux, avant de se mettre eux aussi à piller. Peu à peu, ces bandes
s’étaient rassemblées en véritables armées, trouvant finalement plus rentable
de louer leur force à ceux qui les payaient. On les appelait les routiers ou
les ribauds.
Le roi de France avait à sa solde plusieurs de ces
troupes mercenaires dont la plus importante était commandée par Lambert de
Cadoc qu’il payait mille livres par an. Richard Cœur de Lion louait aussi des
compagnies de Brabançons dont la plus redoutée était celle de Mercadier, un
Provençal devenu baron de Périgord. Mercadier était le plus cruel de ces chefs
de guerre, car il écorchait vif ses prisonniers quand les autres se
contentaient de leur crever les yeux et de leur couper les mains. Douze ans
plus tôt, il avait conduit les troupes anglaises dans le comté de Toulouse et
ravagé une vingtaine de châteaux. L’Église l’avait qualifié d’ennemi du genre
humain pour s’être placé en dehors des lois humaines et divines.
Quel que soit le roi auquel ils accordaient leur
fidélité, les routiers ne vivaient que pour le pillage. Avec la plus sauvage
barbarie, ils couvraient les campagnes de sang et de ruines, massacrant sans
distinction et sans pitié, femmes, enfants et vieillards. Ils inspiraient même
la terreur aux chevaliers de l’ost [22] par leurs vêtements colorés,
leurs armes déroutantes et leurs gonfanons surmontés de figures d’animaux
fantastiques ou mystiques.
Guilhem essayait toujours de chasser les souvenirs
de sa vie passée, mais il savait qu’il ne pourrait jamais y parvenir. Orphelin
à treize ans, il était parti sur les routes. Il avait d’abord volé pour
survivre.
Arrivé en Limousin, il avait rejoint des Cottereaux
avant d’être accepté comme homme d’armes chez Mercadier, provençal comme lui.
Guilhem était pourtant différent des autres routiers. Il avait appris à lire à
la petite école de sa paroisse, il savait écrire le Pater, l’Ave et les psaumes
de pénitence, il connaissait même des rudiments de latin. À une époque où
seules la force et la violence comptaient et où l’on se battait sans plan ni
préparation, il proposait des ruses pour vaincre, limitant ainsi les pertes
humaines. Surtout, il n’était pas inutilement cruel, bien qu’il soit capable
d’être aussi féroce que les autres quand il s’agissait de se battre.
Mercadier l’appréciait et l’avait armé chevalier.
Malgré cela, Guilhem avait fini par ne plus supporter sa sauvagerie. Il l’avait
donc quitté pour rejoindre la compagnie franche de Lambert de Cadoc, l’homme
lige du roi de France. Avide et opportuniste, mais moins cruel que Mercadier,
Cadoc était surtout un capitaine habile et audacieux. Il était le seul à être
parvenu à blesser Richard Cœur de Lion en lui logeant une flèche dans l’épaule,
le contraignant à lever le siège du château de Gaillon.
Guilhem aurait pu rester auprès de lui si le
capitaine routier n’avait reçu le messager du comte de Toulouse lui demandant
des mercenaires. Lambert de Cadoc avait proposé à Guilhem de s’y rendre. Pour
Philippe Auguste, ce serait un avantage d’avoir des hommes à lui dans le comté,
et pour Guilhem c’était l’opportunité de devenir capitaine d’une compagnie.
Il était parti avec douze lances. La lance était
un groupe de quatre ou cinq hommes d’armes : un chevalier et son écuyer,
un archer ou un arbalétrier, et un ou deux valets combattant à pied. Ses hommes
venaient de Flandres et de Picardie, certains n’étaient que des ribauds et des
truands. Comme tous les routiers, ils pillaient les campagnes pour se nourrir.
En traversant le Quercy, ils avaient été pris dans une embuscade conduite par
des paysans et avaient subi de lourdes pertes. Ils étaient arrivés moitié moins
nombreux à Toulouse.
Sur place, Guilhem avait appris la mort de celui
qui les avait appelés. Son fils, le nouveau comte, avait trente-huit ans [23] .
Souple et calculateur plutôt que belliqueux, Raymond de Saint-Gilles avait
répudié son épouse et négocié son mariage avec Jeanne, la sœur de Richard Cœur
de Lion, en échange d’une alliance et du Quercy en dot. Bien que n’ayant plus
besoin des mercenaires, il les avait quand même gardés pour l’escorter à Rouen
où avait eu lieu son mariage, en
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