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Marseille, 1198

Marseille, 1198

Titel: Marseille, 1198 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean (d) Aillon
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homme n’avait si peu
ressemblé à un baladin, songea le prêtre, mais les hommes n’étaient jamais ce
qu’ils paraissaient être. Et si celui-là avait vraiment une vielle à roue,
peut-être disait-il vrai.
    Voyant sa défiance, le prétendu troubadour se
tourna vers le dossier de sa selle et, défaisant adroitement les lanières,
ouvrit son coffret et en sortit une vielle. Il appuya le corps bombé de
l’instrument sur le pommeau de son siège, fit tourner la manivelle et commença
d’une voix grave et profonde :
     
    Amors, vostra mantenensa
    Perdetz a guiza d’enfan
     
    Après quelques notes, il considéra le prêtre d’un
regard interrogateur, comme pour lui demander s’il était convaincu.
    — Où allez-vous ? s’enquit le religieux,
maintenant moins méfiant.
    — Peut-être au château des Baux si on veut de
moi, à moins que je ne me rende à Marseille où je prendrai la croix si les
femmes des infidèles sont aussi jolies qu’on le dit ! plaisanta le
voyageur.
    Le prêtre se signa. C’était blasphémer que de
vouloir se croiser uniquement pour forniquer avec des mahométanes à la peau
sombre.
    — Êtes-vous chevalier ?
    Il savait que souvent les troubadours étaient des
seigneurs en quête de l’accomplissement d’un vœu.
    — Trop parlar fay desmentir , pare ,
sourit à nouveau le cavalier en lançant un accord avec sa vielle.
    C’était le refrain d’une chanson. Il ne fit aucun
effet au religieux qui hocha la tête, le visage fermé.
    — Le château, là-bas… (Le troubadour désigna
le castella trapu), ils me logeraient pour la nuit contre quelques
chansons ?
    L’autre secoua négativement la tête.
    — Le seigneur Rostang n’est pas là, et il
n’aime ni les troubadours ni les voyageurs.
    — Rostang ?
    — Rostang de Castillon, le cousin de Hugues
des Baux, notre seigneur. Son château est dans cette direction.
    Le voyageur désigna les Alpilles.
    — Lui m’offrirait l’hospitalité ?
    — Je ne sais pas, car il est malade. Allez
plutôt chez Antoine (il désigna le pâté de maisons fortifié), c’est mon frère,
il vous donnera une botte de foin dans la grange. C’est quoi votre nom ?
    — Guilhem, Guilhem d’Ussel.
    — Venez avec moi, c’est bientôt l’heure de la
soupe.
    Le curé prit un sentier. Le troubadour le suivit
en chantonnant :
    — … Qu’ieu, car fas vostre coman…
    Après trois semaines de voyage, il était donc
enfin arrivé là où Raymond l’avait envoyé, songeait Guilhem d’Ussel avec une
pointe de soulagement. Mais quelle idée avait le comte de Toulouse de
s’intéresser à un endroit pareil ? Il se sentait effroyablement déçu.
Passé Arles, ce n’étaient que marécages. Le climat était malsain, humide, le
brouillard épais. La route serpentait entre des étangs, des marécages, de
maigres cultures d’oliviers ou d’épeautre. Pas d’habitations, peu d’animaux
sauf des moutons et des chèvres qui rongeaient les rares plantes parvenues à
pousser entre les cailloux. Encore moins d’habitants. Quant aux montagnes du
nord, elles paraissaient peu giboyeuses, sauvages et hostiles.
    À Arles, il avait facilement trouvé à loger, mais
c’est ici que les difficultés allaient commencer. Comment être accepté dans un
pays où il passait si peu de voyageurs isolés ?
    Le mur d’enceinte du hameau était percé d’un
porche voûté au portail de bois clouté dont les battants étaient ouverts. Ils
entrèrent dans une cour boueuse entourée de corps de bâtiment très bas :
une grange, une étable, une longue bergerie et une habitation. Devant un puits,
deux vieilles femmes cessèrent leur conversation en les voyant. Un homme d’une
quarantaine d’années, roux et barbu, couvert d’une casaque en peau de mouton
avec des braies de laine, sortit de la bergerie. Il s’approcha, agressif,
brandissant une fourche comme une arme.
    — Qui c’est ? s’enquit-il rudement à
l’intention du prêtre.
    — Un troubadour, Antoine, répondit le curé.
Il demande une botte de foin pour la nuit et une soupe. En échange, il chantera
des ballades.
    Curieuses, les deux femmes s’approchèrent. Sous un
manteau sans manches entrouvert, elles ne portaient qu’un rugueux bliaut de
laine grossièrement tissé et des sandales de bois à lanières. Une aumônière de
cuir bouilli pendait à la taille de l’une d’elles, l’autre n’avait qu’une
cordelette tissée comme ceinture. Leurs cheveux étaient serrés

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