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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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certaines ont été causées par le pus. Il y en avait tellement que le liquide crevait la peau pour s’écouler.
    — Nous ne sommes pas plus avancés : on ne sait toujours pas combien, selon vous, de coups ont été portés !
    La remarque arracha un ricanement à l’assistance, le médecin laissa échapper un soupir frustré.

    — J’ai bien peur, docteur, que notre ami de la défense soit résolu à vous faire recompter. Pourrez-vous revenir nous dire combien, parmi les cinquante-quatre plaies observées, sont attribuables à des coups, et combien à la suppuration ?
    Rouge de colère, le praticien accepta d’un signe de tête.
    Il traversa la salle d’audience d’un pas raide, passa à côté de la petite fille sans même la voir, tout à son malheur.
    — Mademoiselle Gagnon, appela le juge d’un ton plus amène, ne soyez pas intimidée. Venez vous placer ici, près de moi.
    Toujours cramponnée aux doigts de son ami, elle traversa la salle jusqu’à l’avant. La tête un peu basse, elle cherchait néanmoins des yeux la silhouette de sa belle-mère. Mathieu constata avec plaisir que la femme portait ce jour-là un voile qui ne laissait rien voir de ses traits. Eprouvée par les témoignages de la veille, elle avait utilisé ce subterfuge pour se dérober aux regards.
    «Quelle merveilleuse idée!» se dit le stagiaire. Ainsi, Marie-Jeanne s’habituerait à cet épouvantail noir, et arriverait peut-être à faire abstraction de sa personne. En arrivant près du banc, le jeune homme abandonna sa protégée à la barre des témoins, sous les yeux de Joseph-Napoléon Francœur.
    Contre toutes les attentes de ce dernier, l’aînée de la marâtre prenait le parti de l’accusation.
    Les personnages du drame se trouvaient là, il ne restait aux acteurs qu’à jouer leur rôle.
    — Seigneur ! lâcha Fitzpatrick entre ses dents. Elle doit être terrorisée. Moi-même, je ne me sens pas très brave.

    *****
    Le greffier demanda à la petite fille si elle pouvait donner la définition d’un serment. La réponse lui sembla assez claire pour l’inviter à jurer sur les Saintes Ecritures. Puis, Fitzpatrick se leva, marcha en direction du témoin, cherchant le ton juste. A la fin, il demanda :
    — Quel âge avez-vous ?
    — Douze ans.
    — Vous êtes la fille de Télesphore Gagnon?
    — Oui.
    — Et belle-fille de l’accusée, là-bas ?
    — Oui.
    La voix sortait comme un mince filet.
    — Tâchez de parler plus fort, intervint le juge, pour que les jurés vous entendent.
    Elle hocha la tête. Dans la salle, chacun restait sur le bout de son siège, le visage crispé, tendu par l’effort de concentration.
    — Jusqu’à tout récemment, vous restiez chez vos parents ?
    — Oui.
    — Aviez-vous une sœur nommée Aurore Gagnon ?
    — Oui.
    — Etiez-vous chez vous lorsqu’elle est morte ?
    — Oui.
    « Bientôt, elle devra trouver la force de répondre par plus d’une syllabe ou d’un mot», songea Mathieu. Au moins, ces questions faciles lui permettaient d’apprivoiser un peu sa situation.
    — Quel âge avait-elle ?
    — Dix ans.
    Des larmes montaient à ses yeux, les mots devenaient indistincts. Le juge Pelletier se pencha un peu vers l’avant pour reprendre la réponse, au profit de l’assistance.
    — Aurore avait dix ans ?
    — Oui.

    — Elle était votre sœur propre ?
    Comme elle remua la tête, le magistrat l’aida encore.
    — Donc, vous étiez deux enfants de Télesphore Gagnon, de son premier mariage ?
    — Oui.
    La terreur toute nue gagnait la sympathie du public.
    Francœur fulminait déjà contre le mauvais rôle qu’il devrait jouer un peu plus tard.
    — Pendant toute l’année qui a précédé sa mort, reprit le substitut du procureur général, restiez-vous dans la même maison qu’elle ?
    — Oui.
    — Pouvez-vous dire à la cour ce qui se passait à la maison ?
    Les yeux bruns s’ouvrirent encore plus grands. L’avocat choisit de reformuler sa question.
    — Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de particulier pour Aurore ?
    — Oui, elle la brûlait avec un tisonnier.
    Sa première phrase complète sema la stupéfaction dans la salle. Chacun soupçonnait ces événements, mais pour la première fois, un témoin visuel les évoquait.
    — Qui la brûlait avec un tisonnier ?
    — C’est maman.
    — Maintenant, avant de la brûler avec un tisonnier, avant ça, est-ce qu’il se passait autre chose ?
    — Oui, c’est pour son pied ?
    Elle levait des yeux interrogateurs.

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