Mathilde - III
l’Américaine qui
semblait être des plus à l’aise au sein de cet aréopage à la fois
des plus graves et des plus excités.
Contrairement à la propre attente de la jeune fille, ce qui
était au début simple curiosité et une quasi étude de mœurs pour
elle inconnues se transforma en sympathie pour ces êtres si divers
mais unis par un même enthousiasme et qui semblaient habités par
une grande foi commune purement altruiste.
Pourtant, si la chaleur humaine émanant du groupe fut en grande
part responsable de son adhésion plus que les idées échangées
proprement dites qui lui paraissaient floues, le facteur
déterminant en fut la présence de Jacques Fléton, un jeune homme
qu’elle avait remarqué dès la première fois, à la voix étonnamment
douce et qui s’efforçait, très calmement, à la fin de chaque
réunion, de faire la « synthèse » des propos tenus et des
propositions jetées au hasard, tâche des plus ardues et d’autant
plus méritante aux yeux de la jeune fille.
À sa cinquième réunion, se sentant plus à l’aise, elle demanda à
Miss Sarah qui était ce jeune homme.
L’Américaine, qui n’avait pu que constater l’intérêt que
Marinette portait au garçon à la façon dont elle se montrait
attentive à ses prises de parole, un « Chut ! » lui
échappant parfois inconsciemment lorsque l’assistance ne faisait
pas alors silence, sourit et lui proposa de le lui présenter.
En se dirigeant vers lui en compagnie de Miss Sarah, Marinette
fut surprise de son assurance alors qu’elle était si réservée
d’ordinaire, mais, les présentations faites, lorsqu’elle prit la
main qu’il lui tendait à la manière franche des
« camarades » et qui était étrangement douce comme sa
voix, elle sentit ses jambes flageoler et son cœur battre comme il
ne l’avait jamais fait.
Mais Miss Sarah ne lui révéla jamais que le jeune homme l’avait
également remarquée dès la première fois tant elle était singulière
par sa taille élancée et la fraîcheur de sa beauté et qu’il l’avait
pressée de questions – des questions qui n’avaient de toute
évidence qu’un rapport lointain avec un intérêt politique
quelconque.
– Quand elle le souhaitera, je vous présenterai, avait-elle
simplement répondu.
En fait, la seule chose qui étonna Miss Sarah en l’occurrence,
c’est que Marinette laissa passer plusieurs semaines avant d’oser
le lui demander, tant il lui avait paru évident, plus elle y
pensait bien avant qu’elle ne se fît accompagner de Marinette, que
ces deux êtres, qu’elle croyait connaître aussi bien l’un que
l’autre à force de les fréquenter, étaient faits pour se rencontrer
et qu’il suffisait juste de créer les circonstances qui leur
permettraient de le découvrir par eux-mêmes.
Et puisque c’était à présent chose faite, le moment était venu
pour Miss Sarah de s’écarter pour les laisser seul à seul. Ce dont
les deux jeunes gens ne se rendirent même pas compte, mais cela
aussi était dans l’ordre des choses.
Néanmoins, avant de pouvoir prendre son envol, Marinette devait
attendre que Jacques Fléton eût terminé ses études d’histoire et il
lui fallait garder son emploi présent malgré le décalage à présent
criant entre ses nouvelles aspirations et l’univers de Mme de La
Joyette qui lui apparaissait futile et empli de fausseté. Mais elle
était consciente, malgré tout, qu’il lui eût été difficile de
trouver une meilleure place, n’osant s’avouer combien elle s’était
attachée à Augustine et Augusta et qu’elle ne saurait, le jour
venu, comment leur annoncer qu’elle les « abandonnait »
en quelque sorte, alors que les deux fillettes lui avaient donné,
dès les premiers temps, tant elles en manquaient de la part de leur
mère, toute leur affection.
Marinette savait également qu’elle aurait du mal à vivre hors de
ce quartier si vivant, et particulièrement cette rue
Saint-Dominique encombrée et à la population mélangée où elle
aimait entendre les cris du rémouleur et du vitrier se mêler aux
chants du vannier assis au coin de la rue Amélie.
On y faisait souvent des rencontres singulières, tel cet homme à
l’aspect inquiétant qui assistait régulièrement à l’office du
dimanche à Saint-Pierre-du-Gros-Caillou et qui effrayait les
fillettes lorsqu’elles le croisaient. D’ailleurs, elles avaient
connu la peur de leur jeune vie lorsqu’il s’était approché
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