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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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vingt dernières années, dut s’incliner, comme Napoléon en 1815, devant la puissance de feu financière des Anglo-Américains, avant que le « système pestilentiel des emprunts », comme disait l’Empereur, ne finît par engloutir, lors de la crise de 2008, la City et Wall Street, comme une malédiction biblique.
    Le blocus napoléonien créait un espace économique optimal et protégeait l’industrie naissante française, mais aussi rhénane, hollandaise, piémontaise (même si le système des licences privilégia trop les intérêts de l’empire français) contre un libre-échange qui favorise toujours la puissance en avance, en l’occurrence l’Angleterre. La France avait déjà expérimenté à son détriment ce que Friedrich List devait théoriser quelques années plus tard sur le nécessaire protectionnisme « des économies dans l’enfance » : le traité de libre-échange de 1786 entre la France et l’Angleterre avait en effet provoqué d’énormes dégâts dans l’industrie manufacturière française. Vivant à Paris, écrivant en français aussi bien qu’en allemand, List ne tarissait pas d’éloges sur ce Blocus continental napoléonien. Il le donna en exemple aux Allemands dans les années 1820 quand ils ébauchèrent le Zollverein. Il les incita à se méfier de la domination anglaise. Résidant aux États-Unis entre 1825 et 1832, il encouragea de même le pouvoir américain à élever des barrières douanières très élevées pour édifier une industrie américaine encore dans les limbes. Une fois encore, le combat entre Napoléon et les Anglais fut la matrice de tout le siècle qui s’annonçait et de la grande lutte entre libre-échange et protectionnisme.
    Sous la Restauration, les douanes françaises poursuivirent la même politique que sous l’Empire. Les troupes d’occupation de 1815 étaient considérées comme des « boutiques » de produits de contrebande. Le protectionnisme de la Restauration ne fut pas moins rigoureux que le Blocus continental ; mais le grand marché avait disparu, ne restait que l’Hexagone. La France de 1811 édifiait un grand marché qui avait besoin de protections pour se développer à l’abri de la mortelle concurrence de l’Angleterre « mondialisée ». Sous la Restauration, le protectionnisme, replié sur un territoire exigu, devint une arme réactionnaire, qui avait pour principal objectif de défendre les positions économiques et sociales des traditionnels soutiens de la monarchie ; même une union douanière avec la Belgique fut repoussée.
    Les ports de l’Atlantique souffrirent de nouveau ; Bordeaux avait l’impression qu’elle avait fait un triomphe aux Bourbons pour rien. Certains envisagèrent même une sécession douanière, préfigurant le conflit américain. Les Anglais envoyèrent en France dans les années 1830 un lobbyiste talentueux, John Bowring, faire des tournées de promotion pour le libre-échange. Il fut accueilli triomphalement à Bordeaux ; il se répandit dans les journaux parisiens ; polémiqua avec des ministres protectionnistes comme Thiers. Dans son livre passionnant sur L’Identité économique de la France , David Todd conte le destin hors du commun et exemplaire de ce John Bowring : « Après sa mission en France, son gouvernement l’enverra promouvoir la réduction des restrictions douanières en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Égypte, au Siam et en Chine. Sa ferveur l’amènera à faire bombarder la ville de Canton en 1856, pour forcer l’empire du Milieu à s’ouvrir au commerce international, et déclenchera ainsi la seconde guerre de l’Opium entre la Grande-Bretagne et la Chine. »
    Le libre-échange, c’est la guerre. Un combat. Une mission sacrée. Un sacerdoce. Une croisade. Une religion. Comme le puritanisme du XVII e siècle de Cromwell avait béni la première révolution industrielle anglaise, la mystique religieuse, surtout calviniste à tendance évangélique, porta l’établissement du libre-échange en Grande-Bretagne. Le Premier ministre Peel, qui abolit les Corn Laws en 1846, voyait dans la loi du marché un mécanisme divin. En France, de même, Bastiat, le théoricien libéral le plus brillant et le plus fougueux, avait envisagé de se faire prêtre, avant de brandir le libre-échange comme l’ultime liberté attendue par le monde dans un enthousiasme messianique. Plus prosaïques, les financiers de la City comprirent à cette époque que le libre-échange était le meilleur

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