Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
rangs, on voyait que la pitié avait gagné les cœurs les plus durs.
L’exécuteur improvisé faisait bonne contenance ; cependant sa pâleur, son front baigné de sueur indiquaient qu’il avait un terrible combat à soutenir contre lui-même.
Enfin, après une nouvelle lutte, le patient fut bouclé sur la bascule, mais ses contorsions étaient encore si puissantes, qu’un des aides dut se coucher sur lui pour le maintenir.
Il continuait de crier et de demander grâce.
Charles-Henry Sanson avait dit au jeune homme qu’il ne pouvait mieux honorer le patriotisme dont il venait de fournir un si éclatant témoignage qu’en lui cédant le premier rôle, et il lui avait mis dans les mains la corde qui correspondait au couperet.
Au signal qu’il lui donna, le jeune homme fit jouer cette corde, le couteau s’abattit, les cris cessèrent, la tête roula dans le panier.
Depuis que le peuple devenait friand de supplices, il exigeait qu’on lui montrât les têtes que la guillotine venait d’abattre.
Le mouvement de pitié qui, pendant un instant, avait attendri la multitude s’était en allé avec la vie du patient, et mille voix réclamaient le complément du spectacle.
Mon grand-père expliqua au jeune homme ce qu’il avait à faire, en lui proposant toutefois d’ordonner à un aide de le remplacer si ses répugnances étaient trop vives.
Il refusa avec dédain, presque avec colère ; il souleva le couvercle du panier de cuir, prit la tête par les cheveux, s’avança sur le devant de la plate-forme et, au moment où il élevait le bras pour montrer ce sanglant trophée, il tomba lui-même à la renverse.
On courut à lui. On croyait à un évanouissement, conséquence d’une émotion trop violemment comprimée. — Cette lutte intérieure avait fait plus : elle avait provoqué une apoplexie foudroyante qui l’avait tué.
Telle fut la première exécution du Carrousel, qui devint pendant plusieurs mois, le théâtre des exécutions.
La Commune le voulait ainsi, peut-être pour infliger ce suprême affront au palais du dernier roi ; peut-être pour associer constamment le peuple, dont cette place était devenue le rendez-vous, aux excès que méditaient déjà les chefs des Jacobins ; peut-être aussi, pour tenir l’instrument de mort en permanence dans le voisinage de l’Assemblée, et pour faire ainsi pressentir aux législateurs présents et futurs que leurs opinions seraient pour eux une meilleure sauvegarde que l’inviolabilité qu’ils s’étaient décrétée.
Dans ces temps d’orage, la défense n’était pas moins âpre et moins violente que l’attaque. Les écrivains royalistes luttaient de verve et quelquefois d’insolence avec leurs, adversaires du parti patriote. Deux journalistes, Suleau et Durosoy avaient acquis, par la véhémence de leurs publications, le périlleux honneur d’assumer sur leurs têtes, les haines populaires les plus ardentes.
Homme de tête et d’action, batailleur de plume et d’épée, le premier avait, le 10 août, défendu le trône les armes à la main. Reconnu par Théroigne de Méricourt, que le hardi pamphlétaire avait poursuivie de ses sarcasmes, et à laquelle, jouant sur l’équivoque, il donnait le député Populus pour amant, le rédacteur des Actes des Apôtres avait été massacré dans la cour des Feuillants, à l’instigation de la sanglante amazone.
Moins heureux que son confrère, Durosoy, rédacteur de la Gazette de Paris et du Royaliste , subit les angoisses du supplice jusqu’alors réservé aux criminels. Condamné le 26, il fut exécuté le lendemain, et mourut avec une grande fermeté. Un ancien officier, nommé Collinot-d’Angremont, accusé d’embauchage et de participation à ce qu’on appelait la conjuration du 10 août, lui succéda sur l’échafaud.
Le 29 août, Laporte, intendant de la liste civile, portait la peine des prodigalités dont il avait été le passif instrument et surtout de son attachement à son maître. Sa mort remua profondément ceux qui en furent témoins. Laporte était un vieillard vénérable. Intermédiaire des actes de bienfaisance de la famille royale aussi bien que de ses largesses, ses fonctions l’avaient mis en rapport avec les pauvres comme avec les grands seigneurs. Quelques-uns de ceux qu’il avait secourus se souvinrent-ils à ce moment suprême ? Ses cheveux blancs que le vent faisait voltiger sur son front, sa physionomie calme et sereine touchèrent-ils les
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