Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
sauvegarder leur mémoire de cette suprême injure d’être jugés dans la tombe par la main mercenaire qui les y a précipités.
En entrant dans la période révolutionnaire, je serai donc aussi sobre d’appréciations politiques que je l’ai été jusqu’ici, me contentant d’exposer, aussi brièvement qu’il me sera possible, les événements qui furent l’origine des faits que je raconte.
Bientôt, du reste, je céderai la parole à Charles-Henry Sanson, mon grand-père, en publiant son journal tel qu’il l’a écrit, tel que je l’ai reçu, sans en retrancher, sans y ajouter une syllabe. Ce journal commence à la fin du mois de mai, six semaines à peu près après la création du tribunal révolutionnaire, et se continue jusqu’au mois de vendémiaire de l’an III ; écrit jour par jour, d’une main tiède encore du sang répandu, dans le recueillement de ces nuits dont l’emploi de la journée faisait autant de nuits d’insomnie, il est non seulement l’irrécusable bilan de l’échafaud, mais il traduit en outre les impressions quotidiennes de celui que sa position condamnait à ce rôle d’ange exterminateur. L’amplifier, en corriger les vices de forme, en atténuer la rudesse, en dénaturer la simplicité, ce serait en affaiblir la valeur, ce serait lui enlever le cachet d’authenticité qui restera du moins son mérite.
Mais neuf mois nous séparent encore du jour où commence le martyrologe de Charles-Henry Sanson, et pendant ces neuf mois la machine du docteur Guillotin ne resta pas oisive.
Nous sommes au mois d’août 1792.
La Constituante a disparu en laissant derrière elle cette constitution de 1791, que tous ont acclamée, que tous aspirent à déchirer.
Le roi, trop honnête pour être redoutable, ne sachant ni se concilier l’opinion publique, ni la réduire au silence, n’ayant plus de foi que dans cette ressource des c œ urs faibles, l’excès du mal, préparait un facile triomphe aux factieux.
Ces factieux s’appelaient les patriotes ; ils étaient à la Commune et aux Jacobins : aux Jacobins, dont la tribune parlait plus haut et était plus écoutée que celle de la Législative ; à la Commune dont la puissance municipale balançait l’influence légitime des représentants de la nation, en attendant qu’elle l’étouffât et la réduisît à abdiquer devant l’insurrection victorieuse.
Le 20 juin, l’émeute avait envahi le palais, mais l’audace n’avait point encore atteint le niveau du crime, et les envahisseurs s’étaient contentés d’infliger au roi les plus cruels outrages.
Les royalistes, en songeant à la catastrophe un instant redoutée, étaient tentés de se réjouir ; ils ne réfléchissaient pas que cet abaissement calculé de la royauté préparait sa chute ; que la tête de Louis XVI suivrait de bien près la couronne que la main d’un factieux venait de précipiter dans la boue.
L’indignation sincère que cet attentat souleva dans toute la France, avait appris aux patriotes qu’il ne faut toucher au trône que pour l’abattre ; la leçon que leur donnaient toutes les communes de France, en apportant à Louis XVI l’expression de leurs regrets, ne fut pas perdue : elle leur inspira le 10 août.
Dans ce jour funeste, on vit le monarque fuyant devant l’émeute en armes ; l’Assemblée, impuissante, subissant. son 20 juin à son tour, et reconnaissant dans les injonctions de la Commune une loi supérieure à la loi qu’elle représentait ; enfin cette royauté constitutionnelle, vieille d’un an, sombrant sans qu’une main ait essayé de l’arracher au naufrage.
L’Assemblée législative avait décidé que le roi serait conduit au Luxembourg ; la Commune exige que le roi ait le Temple pour prison, et l’Assemblée obéit.
La Commune et le Comité de surveillance, présidé par Marat, demandent à grands cris la punition des conspirateurs du 10 août et des traîtres. Robespierre, au nom de la municipalité, se présente au palais législatif et exprime impérieusement la volonté du peuple. Après de vaines velléités de résistance, l’Assemblée cède encore, et confie au corps électoral la nomination des membres d’un tribunal extraordinaire destiné à juger les crimes commis dans la journée du 10 août et autres crimes y relatifs, circonstances et dépendances, jugeant en dernier ressort et sans appel.
Ce tribunal ne seconda que très imparfaitement les desseins de ceux qui en avaient
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