Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
plus loin les notes que son mari avait laissées sur une époque si mémorable de notre histoire.
Charles-Henry Sanson ne tarda pas à s’applaudir de l’heureux choix qu’il avait fait. Son excellente femme se montra de suite à la hauteur de ce rôle de maîtresse de maison, quelquefois difficile à remplir. A l’autorité d’une Marthe Dubut, elle joignait une douceur qui lui gagnait toutes les affections, sans affaiblir le respect qu’elle inspirait. Il n’y avait guère plus d’un an qu’elle était souveraine dans l’hôtel du faubourg Poissonnière, lorsque Jean-Baptiste Sanson y revint avec sa femme à cause de l’exécution du comte Lally-Tollendal. J’ai raconté dans le second volume ce drame terrible. La pauvre Marie-Anne y fit un triste apprentissage des cruelles émotions qui lui seraient plus d’une fois réservées dans le cours de sa vie. Elle partagea avec une effusion admirable ses soins entre son beau-père et son époux, également affectés de cette scène sanglante.
Dès que Jean-Baptiste fut un peu remis de cette violente secousse, il se bâta de repartir pour Brie-Comte-Robert, afin de fuir jusqu’au souvenir de cette reprise accidentelle de son terrible ministère ; mais il était dans la destinée du pauvre paralytique d’être constamment ballotté et de ne trouver un long repos nulle part. Peu d’années seulement après son retour à la campagne, il eut la douleur de perdre sa fidèle compagne Madeleine Tronson, celle qui était seule, depuis la mort de Martbe Dubut, à guider ses pas chancelants.
Il fut donc bien forcé de reprendre le chemin de la capitale et de venir réclamer les soins de ses enfants. Marie-Anne Jugier fut sublime de dévouement. Elle se riva, au fauteuil de ce vieillard, le comblant de ces prévenances et de ces affectueuses caresses qui sont si douces pour celui qui souffre. Elle devinait dans ses yeux le moindre de ses désirs, qui était aussitôt satisfait que formé. Pendant les longues et languissantes années qu’il traîna encore sous le toit patrimonial, il fut encore, grâce à elle, qui stimulait les tièdes et réchauffait les indifférents, l’objet constant de témoignages de respect et d’affection. Enfin, par une matinée d’août 1778, il s’éteignit doucement en pressant la main de sa belle-fille qui reçut son dernier soupir et lui ferma les yeux.
Mon grand-père était alors sur la place du Châtelet pour une exécution. Lorsqu’il rentra, il y avait à peine un quart d’heure que son père venait de rendre l’âme. Toute la maison se mit en prières. Ma grand’mère ne voulut point quitter le cadavre ; elle l’ensevelit elle-même et passa la nuit dans la chambre mortuaire avec deux religieuses qui récitaient avec elle l’office des morts.
L’abbé Gomart ouvrit le testament du défunt, qui ne contenait que des dispositions pour les pauvres et quelques serviteurs de la maison ; mais il exprimait le vœu formel d’être enterré auprès de son père dans l’église Saint-Laurent. Charles Sanson II, que ses charités nombreuses avaient fait bien venir du clergé de sa paroisse, avait en effet obtenu la permission d’être enterré dans la nef de cette église, derrière le banc-d’œuvre. La vie de Charles-Jean-Baptiste n’ayant pas été moins méritante, l’abbé Gomart n’eut pas de peine à obtenir pour lui du nouveau curé la même faveur, qui avait été sa dernière ambition, et après le service, auquel assistèrent tous les survivants des indigents qu’il avait secourus et des malades qu’il avait soignés, ses restes furent descendus auprès de ceux de son père.
Les jardiniers-maraîchers de l’enclos de Saint-Laurent, qui formaient une riche corporation, avaient fait hommage la veille à leur paroisse de quatre nouvelles cloches. Elles furent mises, pour la première fois, en branle et sonnèrent à toute volée pour les funérailles d’un exécuteur. Quel présage de glas funèbres.
Un vieux sonneur, débris de ce temps, m’a montré dans mon enfance les dalles sans inscription qui recouvrent les cendres de mon bisaïeul et de mon trisaïeul ; le genou seul des fidèles les effleure. La colère populaire qui violait ailleurs la sépulture sacrée des rois pour jeter leurs cendres au vent, ne s’est heureusement jamais enquise delà dernière demeure des bourreaux.
XIII - LE SAUF-CONDUIT
Après la mort de son père, Charles-Henry Sanson, qui avait, comme on le sait, de
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