Métronome
une série de propositions pour lutter contre la pauvreté. Cet économiste improvisé croit avoir tout compris du sort des nations et de la destinée des miséreux, aussi son programme est-il censé changer le sort de la société ! Le bon Réveillon, plus utopiste que sage, et plus illuminé qu’éclairé, propose de supprimer la taxe perçue sur les marchandises à l’entrée de la ville, donc de vendre les produits moins cher. C’est bien, mais il suggère aussi de diminuer les salaires, puisque tout sera meilleur marché ! L’ouvrier, qui gagne vingt sous par jour, devrait se contenter de quinze sous avec la réforme Réveillon…
C’est au faubourg Saint-Marcel, sur la rive gauche, que la colère éclate d’abord contre « Réveillon l’affameur ».
— Mort aux riches ! crie la foule qui se dirige vers la place de Grève.
Devant l’Hôtel de Ville, on met le feu à une poupée de chiffons, c’est Réveillon qui brûle en effigie ! Et le cortège repart, arrive faubourg Saint-Antoine. Trois cent cinquante gardes mobilisés parviennent à maintenir l’ordre pendant la nuit, mais au petit matin les tanneurs de Saint-Marcel et les artisans de Saint-Antoine déboulent rue de Montreuil. Réveillon et sa famille ont depuis longtemps pris la fuite, mais la fabrique de papiers peints est méthodiquement saccagée, mise à sac pièce par pièce, et la cave vidée des bonnes bouteilles entreposées.
Enfin, après plusieurs heures, la garde se ressaisit, elle a reçu des renforts et tente de repousser les pillards. Des toits, les émeutiers lancent des pierres, des coups de feu éclatent… On relève bientôt douze morts du côté des gardes de police et près d’une centaine dans les rangs des insurgés. Les cadavres des ouvriers tombés sont promenés en procession dans tout le faubourg, aux pleurs se mêlent les cris du soulèvement populaire. Nul ne le sait encore, mais le monde vient de basculer : la Révolution est en marche, elle vient de connaître ce qui restera sa journée la plus meurtrière, malgré les terribles violences à venir.
On voit encore, en face du 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, une petite fontaine du début du XVII e siècle. Approximativement située au niveau de la manufacture Réveillon, elle était au centre de cette « émotion », pour parler le langage de l’Ancien Régime. Une émotion qui fit quand même plus de cent victimes !
Dans les semaines qui suivent, du sixième étage de la tour de la Bastille dans laquelle il est enfermé, le marquis de Sade appelle le peuple à l’insurrection… Incarcéré par lettre de cachet, à l’instigation de sa belle-mère qui lui reproche ses mœurs dissolues, le divin marquis écrit Les Cent vingt journées de Sodome , manuscrit dans lequel il détaille toutes les turpitudes de son âme agitée. Et quand il en a assez de laisser la plume courir sur le papier, il se saisit d’un long tuyau de fer blanc muni d’un entonnoir à l’une de ses extrémités, petit vide-ordures portatif destiné à jeter plus commodément ses détritus en bas, dans le fossé. Avec cet instrument, Sade improvise un porte-voix et harangue la foule du faubourg…
— On égorge, on assassine les prisonniers de la Bastille ! Bonnes gens, venez à notre secours !
Ces hurlements désespérés sont pris fort au sérieux par les passants et l’on frémit en imaginant les horreurs qui se déroulent derrière les murs épais… Pourtant, le cher marquis mène grand train en prison : il est logé très confortablement, disposant de deux cellules pour entreposer ses meubles et sa bibliothèque personnelle, il est même si bien nourri qu’il en est devenu ventripotent.
C’était quoi, la Bastille ?
À l’Est de la ville, pour protéger la porte Saint-Antoine, fut construite à partir de 1370 une « bastille », c’est-à-dire un bastion. Cette porte fortifiée était à la fois le pendant du Louvre à l’Est mais aussi un refuge pour le roi Charles V qui logeait généralement dans son hôtel Saint-Vol tout proche. Cette « bastille Saint-Antoine » était hérissée de huit tours reliées entre elles par des murs épais de quasiment trois mètres. Le tout était entouré d’un fossé large de vingt-cinq mètres et profond de huit.
Dès le XVII e siècle, le rôle militaire de la Bastille étant obsolète depuis longtemps, le cardinal de Richelieu en fit une prison destinée à enfermer ou faire disparaître les ennemis du
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