Métronome
pouvoir. Nul besoin de jugement pour être interné à la Bastille ! Un ordre du roi, par lettre de cachet, suffisait amplement.
En 1788, le chevalier du Puget, lieutenant pour le roi à la Bastille, préconisait déjà la fermeture de la forteresse et évaluait à cent quarante mille livres l’économie qui serait ainsi réalisée pour le trésor royal. Car le roi payait des sommes considérables pour l’entretien du personnel : traitement du gouverneur, officiers, soldats, médecin, aumônier… Un personnel pléthorique pour une population carcérale qui diminuait d’année en année : dix-neuf en 1774, neuf au début de l’année 1789, sept seulement quelques mois plus tard.
Le 14 juillet 1789, tôt le matin, la prise de la Bastille commence… aux Invalides ! Depuis presque trois mois, depuis l’attaque de la manufacture Réveillon, la colère populaire n’est pas retombée, l’odeur de la poudre semble encore flotter sur le faubourg Saint-Antoine. Des rumeurs vraies et fausses courent par les rues. On dit qu’un complot se prépare, un complot contre qui ? Contre quoi ? On dit que des troupes se regroupent autour de Paris pour rétablir l’ordre. On dit que les récoltes ont été mauvaises et que la disette menace.
La veille, des boulangeries ont été pillées, une milice bourgeoise s’est mobilisée, puis le tocsin a sonné toute la nuit… La population veut se défendre contre les mercenaires qui vont entrer dans la ville, quelques ouvriers forgent des piques, mais il faut plus que cela, il faut des armes à feu. L’arsenal des Invalides en regorge ? Alors sus aux Invalides ! Les portes sont défoncées et la multitude s’empare de trente-deux mille fusils et de quelques vieux canons, mais il manque les munitions…
— Il y a des poudres à la Bastille ! crie quelqu’un.
— À la Bastille ! À la Bastille !
Comme une houle qui se retire, les Parisiens quittent les Invalides, se dirigent vers la rive droite, franchissent les ponts et marchent vers la lourde forteresse. Prendre la Bastille ? Personne n’y songe, mais on veut faire main basse sur ses réserves de cartouches et de boulets.
Quand le marquis de Launay, gouverneur de la forteresse, voit cette vague humaine, il ne perd pas la tête et reste obstiné : il ne cédera pas et n’ouvrira pas son arsenal. Une délégation envoyée par l’Hôtel de Ville se présente, elle réclame des munitions pour la milice bourgeoise. Les hauts personnages de la municipalité sont reçus fort civilement par le marquis qui les retient même à déjeuner, sans doute pour gagner du temps, espérant le secours de l’armée royale. Rencontre affable, certes, mais qui ne mène à rien : Launay maintient son refus, même s’il s’engage à ne pas tirer sur les émeutiers tant que ceux-ci ne tenteront pas de pénétrer dans la forteresse. Une deuxième délégation, quelques instants plus tard, puis une troisième n’obtiennent rien de plus.
À treize heures trente, la foule massée autour de la Bastille se montre de plus en plus nerveuse et menaçante. Le gouverneur sait qu’il n’est pas équipé pour soutenir un siège : la fière forteresse n’est défendue que par quatre-vingt-deux vieux soldats mutilés commandés par une trentaine de gardes suisses.
Il faut bien, pourtant, que force reste à la loi, et Launay, cet homme rigide au visage creusé, au front buté, pauvre pion placé par le destin à une place qui le dépasse totalement, fait tirer sur la foule lorsqu’un groupe d’enragés s’en prend aux chaînes du pont-levis… Une centaine d’assaillants s’effondrent sur le pavé.
Dans l’après-midi, deux détachements de la Garde, chargés de veiller à la sécurité dans la capitale, changent de camp et se joignent aux émeutiers. Ces soldats aguerris font venir cinq canons pris aux Invalides le matin même et tirent sur les portes… Un incendie se déclare, assez pour affoler les vieux briscards chargés de défendre la citadelle. Aussitôt, les soldats contraignent le rigide Launay à brandir le drapeau blanc de la capitulation. Le pont-levis est abaissé, la foule se rue à l’intérieur de la Bastille. Dans un délire de joie, elle libère les détenus, surprise pourtant qu’ils ne soient que sept. Sept malheureux qui n’ont rien des héros de la liberté attendus, ce ne sont que de petits escrocs et de minables faussaires, mais la force du symbole est là… On porte les libérés en
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