Métronome
soldats francs longent la Seine et sont atterrés par le spectacle qui s’offre à leurs yeux : sur les eaux, une longue file de bateaux avance lentement au rythme régulier des rames, et des gueules affreuses de dragons colorés marquent, à la proue, la détermination de ces guerriers impitoyables. Inutile d’atermoyer, il n’y a de salut que dans la débandade : les soldats de Charles le Chauve se hâtent de prendre la fuite.
Ce 29 mars 845, jour de Pâques, l’effroi gagne Paris. Aucune défense n’est prévue, rien n’est organisé, et ce ne sont pas les vieux remparts éboulés qui pourront empêcher les Vikings d’envahir la ville. Pour les Parisiens, c’est la déroute. Chacun prend ce qu’il peut, quelques têtes de bétail, des bijoux, un peu de farine, et l’on s’empresse de détaler loin à l’intérieur des terres. Les moines quittent leur monastère, traînant avec eux des ornements d’église et des vases sacrés, mais emportant surtout le plus précieux : les reliques de saint Germain et celles de sainte Geneviève. Précautions inutiles, les Vikings fièrement païens n’ont aucune intention de s’emparer de quelques ossements. Ce qu’ils convoitent avec frénésie, ce sont des richesses, n’importe lesquelles, pourvu qu’elles soient sonnantes et trébuchantes. Pièces d’or, joyaux, parures, tout leur est bon. Ils ne veulent pas occuper des terres, ils ne cherchent pas à imposer leur pouvoir, ils ne souhaitent pas étendre leur influence, ils désirent simplement s’enrichir. C’est leur obsession.
Ils accostent au petit port de l’île de la Cité, débarquent, tuent les habitants égarés, pillent systématiquement la ville en grande partie désertée. C’est évidemment dans les monastères et les abbayes qu’ils cherchent en priorité et trouvent les magots espérés. Ils n’éprouvent aucun scrupule à piller les trésors d’une chrétienté dont ils ne connaissent rien ! Le reste, les masures et les fermes, n’ayant aucun intérêt à leurs yeux, ils y mettent systématiquement le feu. Et quand ils rencontrent une belle vierge ou un vigoureux gaillard, ils l’emmènent en esclavage. On pourra toujours les négocier à bon prix.
Les Vikings se montrent insatiables. Ils veulent maintenant attaquer Saint-Denis, bien certains que l’abbaye renferme une incommensurable fortune. Charles le Chauve mobilise ses cavaliers…
— À vous, brave soldats, d’aller défendre la tombe de Denis, notre saint martyr !
Mais les combattants francs rechignent… La saison n’est pas au combat : l’herbe n’a pas encore repoussé en ce début de printemps, les chevaux sont affamés et l’on ne peut pas les nourrir… Vraiment, il faudrait renvoyer l’assaut à plus tard, quand l’herbe sera haute, quand le temps sera plus clément.
L’avantage, avec un ennemi assoiffé d’or, c’est qu’on peut toujours acheter la paix si l’on n’a pas les moyens de combattre. Sept mille livres d’argent ! Telle est la somme que Charles le Chauve propose à Ragnarr, le chef viking. Affaire conclue. Et les pillards repartent, leurs besaces bien remplies.
Mais à l’extrême nord de l’Europe, d’autres chefs de guerre songent à venir s’enrichir en Francie. On leur a dit tant de merveilles sur le royaume de Charles le Chauve ! Un certain Godfred surgit à son tour et menace Paris avec sa flottille. Quelques soldats massés sur la montagne Sainte-Geneviève et une nouvelle transaction financière suffisent à éloigner le danger. Puis arrive un dénommé Sidroc que l’on ne peut plus soudoyer, car les caisses commencent à se vider dangereusement. Alors le Viking se venge : il pille à Paris ce qu’il reste à piller, il brûle ce qu’il reste à brûler. « Quelle affliction ! écrit Aimoin, chroniqueur de Saint-Germain-des-Prés, les Francs furent mis en fuite sans combattre, ils lâchèrent pied avant que le premier trait de flèche fût lancé, avant que les boucliers eussent été choqués. Les Normands savaient que les seigneurs francs n’avaient plus de courage. »
Quelques années encore et les Vikings trouvent un nouveau moyen de soutirer de l’argent à Charles le Chauve : ils enlèvent Louis, abbé de Saint-Denis, et son frère Gozlin, évêque de Paris, deux petits-fils de Charlemagne, illégitimes c’est vrai, mais tout de même ! Les ravisseurs exigent évidemment une époustouflante rançon pour rendre à leur église ces deux éminents
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