Meurtres dans le sanctuaire

aussi bon médecin que vous, mais comme je suis une femme, on n’a pas consigné mon nom sur la liste des suspects.
    S’accoudant sur son siège à haut dossier, Kathryn se pencha en avant et reprit :
    — Le Conseil, le commissaire du roi et Monseigneur l’archevêque ont requis mes services pour enquêter sur ces meurtres. Pas plus que vous, je n’apprécie qu’un tueur rôde dans les rues de Cantorbéry et assassine des pèlerins qu’il a choisis en fonction de leur métier.
    Elle se tut et passa la langue sur ses lèvres. Elle était surprise de sa propre violence. Ces hommes auxquels elle était confrontée étaient si différents de son père ! Ils n’affichaient qu’arrogance et condescendance, alors que le vieux docteur Swinbrooke avait été la bonté même. Kathryn lança un regard en coin à Colum : il se mordillait le coin de la bouche comme pour dissimuler un sourire amusé. « Je réglerai votre compte tout à l’heure, Irlandais », songea-t-elle, et un instant elle se demanda si elle devait révéler comment elle avait découvert la façon dont le meurtrier choisissait ses victimes. Puis, voyant que Luberon et Newington feuilletaient avec impatience les papiers devant eux, elle conclut doucement :
    — Je reste persuadée que ce meurtrier habite Cantorbéry et qu’il est médecin. Sinon, comment se procurerait-il ses poisons et comment saurait-il qu’il faut les dissoudre dans le vin ? Si quelqu’un n’appartenant pas à la profession médicale achetait ces substances, il attirerait l’attention sur lui, et deviendrait aussitôt suspect. D’autant qu’il s’agit de poisons coûteux, et encore plus avec la guerre.
    Chaddedon ainsi que Straunge et Darryl hochèrent gravement la tête à ces derniers mots, et Kathryn fut contente de leur approbation tacite. Luberon crut alors bon de préciser :
    — Le Conseil et le roi ont conclu un contrat avec Maîtresse Swinbrooke, qui sera rétribuée pour son concours dans cette affaire de meurtres. À présent, messieurs, vous en savez autant que nous sur la raison de votre présence ici.
    Straunge prit la parole avec force.
    — Pourtant, n’importe qui possédant un jardin de simples a pu faire des décoctions de poison. Même vous, Maître Luberon. On dit que vous adorez les fleurs, au point que l’archevêque vous a confié son jardin de roses. Vous vous y entendez aussi en herboristerie : vous posez des questions auprès des apothicaires et des médecins de cette ville.
    Luberon ouvrit la bouche et la referma, entrevoyant ce que sous-entendait Straunge. Colum, lui, s’agitait sur son siège, quant à Kathryn, elle sentait un frisson de peur lui glacer la nuque. Straunge disait vrai. N’importe qui s’y connaissant en plantes médicinales pouvait être l’assassin. Cependant, elle se souvint de la poudre de digitale mélangée au vin blanc qui avait tué le médecin, Robert Clerkenwell.
    — Vous avez raison, Maître Straunge, fit-elle valoir. Certes, un enfant peut cueillir la digitale ou des champignons vénéneux ; mais pour les faire sécher, les réduire en poudre et en préparer des décoctions assez concentrées, vous admettrez que cela requiert une grande expérience.
    Luberon aussitôt se détendit, et Straunge haussa les épaules et sourit.
    — J’en conviens, Maîtresse Swinbrooke. Maître Luberon, je ne vous accusais pas, je voulais simplement démontrer mon argument.
    Kathryn reprit vivement la parole :
    — Sans doute êtes-vous tous innocents, et je veux croire que vous l’êtes. Néanmoins...
    — Néanmoins, la coupa Colum, vous devez répondre à nos questions. Nous savons peu de choses des victimes hormis les circonstances de leur mort. Maître Cotterell, vous avez vu le cadavre de l’une d’elles, m’a-t-on dit ?
    L’arrogant médecin avait maintenant perdu bien de sa morgue. Il hocha la tête.
    — Je me trouvais non loin.
    — Laissons ce meurtre pour l’instant, reprit Colum. Je dois vous interroger sur vos occupations et vos déplacements, hier après-midi, pendant que Spurrier était empoisonné dans la cathédrale. Je suis le commissaire du roi, et vous devez promettre de dire la vérité. Maîtresse Swinbrooke, en tant que médecin, m’assistera.
    À cet instant, Brantam se leva de son siège, tout agité.
    — Asseyez-vous ! ordonna Colum.
    — Il faut que je parle à Maîtresse Swinbrooke, bredouilla l’homme, mais en privé.
    Tout le monde pouvait voir combien il était