Meurtres dans le sanctuaire
avait déjà dévoré plusieurs cercles, aussi aida-t-elle Thomasina à monter des seaux d’eau bouillante pour remplir le baquet serti de fer, installé dans un coin de sa chambre, sous une pièce de laine. Quand il fut plein, les deux femmes jetèrent dans l’eau des pétales de rose et de la lavande, puis Kathryn se déshabilla rapidement et se lava avec du savon castillan et une éponge très dure que son père avait achetée à Londres. Ensuite elle choisit une robe en satin bleu foncé dont les poignets et le haut col étaient rebrodés de satin doré, s’habilla sans perdre de temps et descendit à la cuisine.
Thomasina avait toujours tenu à coiffer Kathryn. Ce rituel, qui remontait au temps où sa maîtresse était une enfant, s’accomplissait devant la cheminée. La servante expédia Agnes dehors, sous prétexte de quelque commission, et sortit le peigne et la brosse à manche d’argent. Puis elle défit les tresses de sa maîtresse, laissant ses cheveux retomber dans son dos comme un pan de soie noire scintillante.
Sur les tempes apparaissaient quelques fils d’argent qui ne lui échappèrent pas et Thomasina maugréa doucement dans sa barbe. Puis elle entreprit de peigner avec soin les longs cheveux, tendant l’oreille pour s’assurer qu’Agnes était bien partie. Car Thomasina était fermement décidée à profiter de l’occasion pour parler à sa maîtresse des missives anonymes. Kathryn d’ailleurs s’était déjà à demi retournée et lui souriait :
— Allons, Thomasina, dis ce que tu as à me dire !
Aussitôt la servante raconta comment elle avait été en possession de la lettre qu’elle avait ouverte pour en lire l’ignoble contenu, avant de la jeter au l’eu. Elle expliqua ensuite son inutile visite au cimetière de Sainte-Mildred.
— J’ai mal agi, Maîtresse, conclut-elle sans ambages, tout en redoublant de vigueur pour brosser les cheveux de Kathryn, mais je vous connais depuis que vous étiez petite fille ! Aussi dites-moi la vérité : qu’est-il arrivé la nuit où Alexander est parti ?
Tout d’abord, Kathryn se contenta de fixer les flammes dans l’âtre. Les bons soins de Thomasina et le mouvement de la brosse dans ses cheveux la berçaient, et, en même temps, voilà longtemps qu’elle ne s’était sentie si vivante. Elle avait vécu dans le mensonge, or la présence de l’Irlandais, l’affaire des empoisonnements et le sentiment d’avoir une responsabilité dans son éclaircissement, l’admiration de Chaddedon enfin, toutes ces raisons l’avaient tirée de sa torpeur pour la ramener à la réalité. Elle prit la main de la servante et la serra doucement.
— Tu n’as rien fait de mal, Thomasina, et je vais tout te raconter. Alexander Wyville était un homme de bonne famille et de belle apparence. Comme il était enfant unique, il fut aussi l’unique héritier de sa mère, qui mourut un an avant notre mariage.
Kathryn sourit à la servante par-dessus son épaule.
— Mais tu en sais autant que moi sur lui, Thomasina. Il était donc apothicaire et me fit la cour, avec la bénédiction de mon père. Te souviens-tu de ces nuits que nous passions alors dans cette cuisine, à tirer des plans pour ouvrir une boutique où nous vendrions des herbes et des épices ?
Thomasina se contenta de hocher la tête. C’était le moment de se taire, bien que depuis le début elle ait nourri des doutes. Oh, rien de grave, mais on murmurait à l’époque qu’Alexander se rendait moins souvent à l’église de Sainte-Mildred qu’à la taverne qui se trouvait juste en face.
Kathryn haussa les épaules et reprit :
— Tu connais la suite. J’ai épousé Alexander. Je voulais l’aimer, porter ses enfants, mais il y avait deux hommes en lui. Un apothicaire ambitieux, et un ivrogne qui battait sa femme.
Elle posa une main sur celle que Thomasina avait placée sur son épaule.
— Je savais que tu savais, mon père savait aussi, mais nous prétendions tous qu’il n’en était rien. Comment imaginer qu’un homme aussi jeune ait nourri tant de haine en lui ? Il était envieux de mon père. Puis la guerre éclata une nouvelle fois, et Alexander y vit sa chance : il serait soldat dans les armées du roi, et se gagnerait ainsi les faveurs loyales en tant qu’apothicaire. Il annonça donc son intention de rejoindre les forces de Faunte rassemblées à l’extérieur de Westgate. Mon père lui donna son accord. Quant à moi, je ne désirais qu’une
Weitere Kostenlose Bücher