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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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qu’une colonne de détenues en route pour le travail extérieur au camp
rencontre un groupe de prisonniers, les SS lançaient un ordre à l’une des deux
colonnes : « Halte ! », « Demi-tour ! ». Et
c’est ainsi que, le visage tourné, il fallait attendre que la « tentation »
se soit éloignée.
    L’étroite promiscuité de milliers de jeunes femmes et de
jeunes filles créait, en dépit de la terreur ambiante dans le camp, une
atmosphère érotique. J’observais les jeunes Tziganes travaillant à l’atelier de
confection des SS pendant la nuit ; en dépit du ronronnement bruyant des
machines, de la chaleur torride, du surmenage, de la poussière qui saturait l’atmosphère,
elles chantaient, devant leurs machines, de langoureuses chansons d’amour. Les
appétits érotiques de certaines autres femmes ne trouvaient d’apaisement que
dans la danse. Elles se contorsionnaient et se balançaient au rythme d’une danse
à claquettes, dans un recoin, derrière les toilettes puantes, tandis que devant,
leurs amies montaient la garde afin de les avertir d’un éventuel contrôle des
SS.
    Il était très rare que se nouent au camp des relations
amoureuses entre SS et détenues. J’en connais cependant un cas. Dans une
dépendance à l’extérieur du camp, une détenue politique allemande tomba
enceinte d’un SS ; désespérée, elle se procura des somnifères à l’infirmerie
et se suicida.
    À l’atelier de confection n 1, où j’ai travaillé pendant
un an et demi, une tendre relation entre le SS Jürgeleit et une détenue s’était
développée. Ils échangèrent de nombreuses lettres d’amour, mais les choses n’allèrent
pas plus loin.
    Il y eut un cas où l’amour d’un SS pour une détenue fut
lourd de conséquences. Il travaillait à l’atelier de réparation des machines à
coudre où étaient employées également Anička Kvapilová, une amie de Milena,
et cinq ou six autres Tchèques. Le SS, qui n’avait que dix-huit ans, s’appelait
Max Hessler ; il s’éprit d’une jeune Tchèque. Ils se voyaient tous les
jours et son amour était aussi ardent que dépourvu de perspectives. Il finit
même par se prendre de passion pour toutes les détenues venant de Bohême, mieux,
il se mit à aimer le peuple tchèque dans son ensemble. De nombreuses palabres
secrètes eurent lieu, puis un jour, il prit une décision d’une audace folle. Il
annonça à celle qu’il aimait qu’il était prêt à se rendre pour elle à Prague. Il
inventa à cette fin un prétexte plausible pour ses supérieurs SS. Il leur fit croire
que certaines pièces de rechange de machines à coudre dont on avait absolument
besoin ne pouvaient se trouver qu’à Prague. Il reçut donc l’ordre d’aller se
les y procurer. Il entreprit le voyage, porteur des nombreuses lettres que les
détenues tchèques lui avaient remises pour leurs familles à Prague. C’était
déjà là une entreprise des plus dangereuses. Il s’acquitta de tout comme il lui
avait été demandé, rendit visite à toutes les familles, et les proches des
détenues lui remirent non seulement des lettres, mais aussi de la nourriture, voire
des objets de valeur. Le jeune SS rapporta tout cela dans une gigantesque
valise, trouvant même une méthode aussi hardie qu’astucieuse pour introduire en
fraude ce volumineux bagage à Ravensbrück. Puis il entreprit de distribuer le
courrier et les cadeaux à leurs destinataires. Leur joie et leur reconnaissance
étaient sans bornes. Malheureusement, bien trop de personnes étaient au courant
de l’affaire et les SS en eurent vent. Le pauvre bougre fut arrêté et quelques
détenues tchèques jetées dans la prison du camp.
    J’ai appris plus tard qu’après avoir été condamné à une
peine de prison, le jeune SS obtint un sursis et fut envoyé au front, en France,
où il fut bientôt fait prisonnier. Après 1945, deux anciennes détenues tchèques
se rendirent en France, passant les camps de prisonniers au peigne fin les uns
après les autres pour, finalement, trouver le vaillant amoureux et obtenir peu
après sa libération.
    *
    C’était un jour de printemps, à Ravensbrück ; il
faisait gris, les détenues étaient au travail et j’avançais, seule, sur l’allée
du camp. Je remarquai de loin la présence d’une sentinelle, le fusil en
bandoulière. En m’approchant, je vis la tête d’un homme émergeant d’une bouche
d’égout. Il avait le visage typique du droit commun endurci,

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