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Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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lumière.
    — C'est un chaman, dit le vieux Mangeur de Poissons. Je te le répète ; je l'ai dit à tout le monde quand il est arrivé avec les commerçants, mais qui écoute un vieil homme qui peut tout juste chasser ? Qui ?
    Il redressa les épaules sous son suk en peau de loutre et frotta ses mains aux articulations enflées. Puis il regarda Kukutux et, étendant les doigts, remarqua :
    — Vois ce qui arrive à un vieil homme quand il chasse. Pour chaque phoque qu'il prend, il troque deux jours de douleur. Je leur ai dit que j'avais vu des morses. Ils ne m'ont pas cru. Ils m'ont fait revenir pour que je leur montre l'île. Elle était remplie de morses, si près les uns des autres qu'on ne savait où poser le pied. « Des morses », leur ai-je dit. Maintenant ils me croient. Du moins ces deux-là, ajouta-t-il en désignant Phoque Mourant et Pieds Rouges. Mais celui-ci, ce chef, pense en savoir plus qu'un vieillard. Il dit que nous devrions repartir tous ensemble pour revoir les morses. Il veut les chasser. Avec quoi ? Qui parmi nous a chassé le morse ? Devons-nous utiliser des harpons à phoques ? Quel morse ne les repoussera pas, se gaussant de nos armes minuscules ? Faut-il souiller nos armes à baleines avec du sang de morse ?
    Tandis que Kukutux écoutait le vieil homme, Roc Dur continuait à marcher de long en large. Il s'arrêta plusieurs fois devant le rideau de la chambre de Waxtal et Kukutux le vit incliner la tête comme s'il écoutait les incantations.
    Il se tourna enfin vers elle et interrompit les plaintes de Mangeur de Poissons.
    — T'a-t-il ordonné de ne pas le déranger pendant qu'il priait ?
    — Il ne m'a rien dit.
    — En ce cas, je vais lui parler maintenant.
    Roc Dur avait parlé d'une voix retentissante mais il était planté devant le rideau de la chambre comme s'il espérait qu'il allait se relever sans qu'on y touche. Ce fut Kukutux qui écarta enfin le rideau. Roc Dur se courba et, avant qu'il n'ait eu le temps de dire le moindre mot, la voix de Waxtal parvint, forte et claire.
    — Avez-vous trouvé les morses que j'ai appelés pour vous ?
    Roc Dur sursauta comme si on l'avait frappé.
    — Crois-tu que les esprits ne me parlent pas ? poursuivit Waxtal.
    Il sortit alors de sa chambre, se redressa et s'étira.
    — Tu as appelé les morses ? demanda Phoque Mourant, dont Kukutux vit le doute sur le visage.
    — Avez-vous déjà vu des morses près de cette île auparavant ? Vos pères ou vos grands-pères racontaient des récits des temps anciens. Parlaient-ils de morses ?
    — Non, répondit Mangeur de Poissons. Mais c'est moi qui les ai vus en premier. J'ai amené les autres, ils ne me croyaient pas.
    — Vous le croyez, maintenant ?
    — Je ne les ai pas vus, répondit Roc Dur, mais Phoque Mourant est connu pour son honnêteté.
    — Alors tu l'accompagnes pour constater par toi-même ?
    — Nous partons ensemble. Tous.
    Waxtal se détourna.
    — J'appelle les morses. Je ne les chasse pas, dit Waxtal en regagnant sa chambre.
    Les mains de Roc Dur se refermèrent sur les épaules de l'homme qu'il tira dans la grande pièce.
    — Si tu es chaman, nous t'honorerons comme tel, mais pas tant que la preuve n'en sera pas faite. Tu m'as dit vouloir cette femme pour épouse. Pars avec nous maintenant. L'aller et retour pour l'île des Quatre Eaux ne prend pas même la journée. Prends ton chigadax et tes lances. Prends tes vessies d'eau et la lampe à huile.
    Il lâcha prise et regarda Kukutux.
    — Tu m'as dit que tu accepterais d'être sa femme s'il était chasseur. Et s'il est chaman ?
    — Dès l'instant qu'il peut rapporter assez de viande pour passer l'hiver, que m'importe si c'est la part d'un chasseur ou la part d'un chaman ?
    Elle aida Waxtal à rassembler ses affaires, emplit des peaux d'eau et une vessie d'huile, trouva une lampe de chasseur et ravauda en hâte un accroc à son chigadax.
    Mais quand les chasseurs partirent, Kukutux ne grimpa pas en haut du toit pour les suivre du regard. Elle resta debout au centre de la pièce vide après les vociférations et la bousculade. Elle ferma les yeux et soupira. Peut-être ses temps de solitude après la mort de son mari et de son fils lui avaient-ils déformé l'esprit. Sinon, pourquoi jouirait-elle de la quiétude d'un logis désert ? Quelle femme échangerait la tranquillité contre la bénédiction d'enfants ? Les bruits des tantes, oncles, parents, grands-parents ? Pourtant, se souvint-elle, presque toutes les

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