Mon frère le vent
étaient de ces animaux qui peuplaient les récits — loups, ours, caribous. Utilisant indifféremment le jour et la nuit. Dormant et mangeant uniquement par nécessité.
Elle était assez loin du village, marchant le long de la baie, approchant de l'endroit où celle-ci rejoignait la mer, où le sable de la plage cédait la place au gravier et à la roche. C'est alors qu'elle entendit un homme chanter et ce fut comme si l'esprit de Kiin murmurait le nom à son oreille. Coquille Bleue sut que c'était le Corbeau.
Elle s'accroupit dans les herbes hautes et, risquant un œil furtif, vit qu'il pagayait dans un ik de commerçant et qu'il était seul. Il se dirigeait vers la baie et s'apprêtait à accoster.
Coquille Bleue en eut le souffle coupé. Soudain, elle fut paralysée. Au moment où le Corbeau s'extirpa de l'ik, elle réussit à se hisser sur ses mains et sur ses pieds. Elle s'enfonça plus profondément dans l'herbe et ne bougea plus.
Elle entendit de nouveau la voix du Corbeau, assez haute pour donner l'impression qu'il s'adressait à quelqu'un. Inclinant la tête, elle constata qu'il était assis sur ses talons à côté de son embarcation. Puis elle demeura où elle était et observa.
Le Corbeau avait la gorge rauque à force de s'entraîner, il continua pourtant. La voix monta de l'avant de l'ik. Il parla de nouveau et la voix parvint d'un rocher de la plage, puis d'une touffe d'herbe au bord de la ligne de marée. Il entonna une incantation mais les mots sortirent avec sa propre voix, alors il recommença.
Cette fois, il serra la gorge jusqu'à ce que les mots donnent l'impression de monter d'un tunnel étroit derrière sa langue. Il hocha la tête avec satisfaction tandis que la voix lui arrivait de la grande ivraie en haut de la plage.
L'herbe remua. Un loup ? se demanda-t-il en essayant de distinguer dans l'obscurité. Non, pas un loup, autre chose. Un ours ? Non, trop petit. Peut-être un ourson. Lentement, il inclina le dos en arrière, lentement il tendit la main et prit dans l'ik sa lance et son projecteur. Il ajusta celui-ci à sa main et dut baisser les yeux pour fixer la pointe de sa lance au crochet du projecteur. Quand il releva la tête, ce qu'il avait vu avait disparu, perdu dans les ombres.
Le Corbeau avança et recula la tête, utilisant la vision nocturne plus claire qui émane du coin de l'œil ; malgré cela, rien. Un esprit ? A vrai dire, il ne savait pas encore quelles puissances il attirerait par ses voix. Il parla de nouveau, rétrécissant sa gorge pour que les mots parviennent de l'herbe. Cette fois encore il eut la certitude de voir quelque chose bouger.
— Si tu es esprit, montre-toi, appela-t-il enfin avec sa voix à lui. Si tu es esprit, dis-moi ce que tu es venu me dire.
Il attendit. En vain.
Il avait pensé passer un certain temps ici, sous la pleine lune, afin d'exercer sa voix avant de rentrer au village. Mais comment était-ce possible si un animal se tapissait dans l'herbe ?
Il porta son regard jusqu'au village, vit les feux de plage et sut que les hommes étaient éveillés. Il ne voulait pas aller les retrouver dès maintenant. Qu'ils se lèvent le lendemain matin pour constater sa présence. Qu'ils s'émerveillent de ce qu'il était devenu. Qu'ils trouvent quelque mystère à ce qu'il accomplissait.
Mais comme il y avait un esprit sur la plage, il ne pouvait rester. De rage, il arma son bras, de rage il projeta sa lance vers l'obscurité de l'herbe. Il entendit le coup porter, puis un son comme celui du vent qui siffle soudain, puis rien, nul gémissement, nul cri.
— C'était un esprit, chuchota le Corbeau.
Il observa l'herbe : silence, immobilité. Pourtant, on ne savait jamais ce qui pouvait courroucer un esprit. Il faillit aller récupérer son arme, faillit rester pour exercer ses voix. Mais il se vit alors se diriger vers les hommes encore sur la plage, sortir de l'ombre dans son ik. Qui n'en percevrait le mystère ? Pourquoi attendre le matin ?
Alors, abandonnant sa javeline, il remit son canoë. S'il avait heurté un esprit, pourquoi risquer plus avant sa colère ? Dès demain, il enverrait un gamin récupérer sa lance.
Le Corbeau pagaya à longs coups aisés. La baie était calme. Il sentait l'odeur de la fumée âcre et épaisse du feu de plage — des os de phoque en train de se consumer — et percevait le reflet des flammes dans l'eau. Il appela les hommes, souleva sa pagaie et se mit debout avec précaution. Il ouvrit la bouche pour
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