Mon frère le vent
éclaté.
Le vieil homme agrippait une outre d'eau vide. La puanteur de sa peau brûlée se mêla à l'odeur de fumée dans les narines de Samig, mais il prit le vieil homme dans ses bras et, sourd à ses gémissements, l'éloigna des flammes.
Quelqu'un étendit une douce couverture de fourrure où Samig le déposa. Il ôta ses bras avec précaution mais, malgré tout, la peau de Dyenen resta collée à son parka. Il s'écarta et vomit. Une fois qu'il eut l'estomac vide et qu'il eut repris son souffle, il retourna près de Dyenen, se frayant un chemin dans le cercle des chasseurs venus l'entourer et des femmes qui faisaient déjà monter des cris endeuillés. Kayugh était parmi les hommes, Shuku accroché à lui.
Un homme Rivière dit quelque chose en pointant du doigt. Samig entendit une femme hurler au loin. Un cri, puis de nombreux cris. Cela s'arrêta enfin et, de ses lèvres noircies, Dyenen parla à Kayugh. Kayugh répondit, s'exprimant en langue Morse, puis fit signe à Samig d'approcher.
— Dyenen dit que la femme Queue de Lemming a mis le feu. Les cris que tu viens d'entendre sont les siens. Dyenen dit que les hommes Rivières l'ont tuée. Il est désolé que nous ne l'ayons pas eue en échange. Il veut que nous emmenions Souriceau. Il dit que son peuple tuera l'enfant s'il reste.
— C'est d'accord.
Dyenen appela en langue Rivière et toute l'assemblée recula, faisant place à cinq femmes. Près d'elles, une fille d'environ sept étés, avec dans ses bras un nouveau-né.
— Ses filles, dit Kayugh.
Il se releva mais Dyenen tendit la main et Kayugh se pencha tout près, Shuku toujours dans ses bras.
Dyenen murmura :
— Il dit qu'il n'a pas de fils, fit Kayugh en se tournant vers Samig.
— Dis-lui qu'il a deux fils, que nous élèverons comme les siens.
Kayugh répéta cette promesse en langue Morse puis Dyenen s'adressa à une de ses filles. Elle vint à Kayugh, leva les mains et mit quelque chose autour du cou de l'enfant. Samig reconnut l'amulette d'un chaman, légèrement calcinée. La fille parla, mais ses mots étaient Rivières. Puis elle appela une autre femme, qui amena Souriceau et le posa en pleurs dans les bras de Samig. Puis elle fit signe aux hommes de partir.
Ils regagnèrent la demeure des commerçants, rassemblèrent leurs affaires, mâchonnèrent de la viande pour l'assouplir avant de nourrir les enfants. Puis, Souriceau sanglé dans le dos de Kayugh et Shuku dans celui de
Samig, ils se dirigèrent vers le fleuve, contournant largement les personnes en deuil.
Ils parvinrent enfin à leurs ikyan, glissant sur la glace en formation vers le milieu du fleuve, où l'eau était claire et froide. Le vent souffla, chassant la fumée de leurs yeux. Une fois franchies les eaux troublées où le fleuve se joignait à la mer, Samig s'autorisa à tapoter tendrement la tête de Shuku, à se réjouir de la présence de son fils.
95
Quatre personnes moururent cette nuit-là. Le grand chaman Dyenen. L'enfant Ourson, fils de Fait la Pluie. La vieille femme Salue l'Aurore. Et la femme Morse que Dyenen avait nommée Utsula' C'ezghot.
Sa mort était une rétribution. Depuis son arrivée à leur village, il y avait eu trop de morts. Elle avait déclenché le feu qui avait tué Dyenen. Fait la Pluie l'avait vue.
Désormais, leur chaman disparu, comment leur village survivrait-il ? Qui appellerait le caribou quand viendrait le temps de la chasse ? Qui appellerait le saumon à venir dans leurs rivières ? Qui saurait parler aux esprits quand quelqu'un serait malade ?
À la fin des quatre jours de deuil, une fois que l'esprit conscient de Dyenen eut quitté le village pour son voyage jusqu'au Monde Au-delà, Canne Qui Marche convoqua les hommes en sa demeure. Il était âgé, plus encore que Dyenen. Il ne revendiquait aucun pouvoir spirituel, mais il était connu pour sa sagesse. Que demander de plus, dans la vieillesse ? Que demander de plus que la sagesse et le respect de ses enfants et des enfants de ses enfants ?
Canne Qui Marche invita quatre hommes chez lui, quatre hommes dont chacun avait reçu des esprits un don particulier — sculpteur, conteur, danseur, chanteur.
Les hommes restèrent un temps en silence. Pas de femme pour apporter à manger, nulle trace de politesse ou de plaisanterie.
Canne Qui Marche prit enfin la parole.
— Nous avons perdu notre chaman. Je me dis que son pouvoir a été pris par Saghani, ce chaman des Chasseurs de Morses. Je me dis que, privé de
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