Mon frère le vent
honorait, non comme épouse du Corbeau mais pour sa place en tant qu'épouse de Dyenen. Qu'étaient les pouvoirs du Corbeau comparés à ceux de Dyenen ? Pourtant, Kiin tendait la main depuis le monde des morts pour porter le déshonneur à Queue de Lemming et à Souriceau. A cause de Kiin, elle était désormais Utsula' C'ezghot, une menteuse, et pourtant elle n'avait fait que se conformer aux ordres de son époux.
Queue de Lemming balaya la pièce du regard. Il n'y avait pas d'armes, rien qu'elle puisse utiliser contre les hommes qui la retenaient prisonnière. La demeure était conçue pour les femmes dans leur temps de saignement, afin que leur sang ne maudisse pas les armes et les vêtements des époux. Aujourd'hui, le logis comptait trois occupantes — une fille qui n'avait que quelques lunes de plus que son premier sang, une vieillarde qui ne passerait plus beaucoup d'étés en ce lieu, et une mère nourrissant une petite fille. D'ordinaire, les femmes séjournant ici parlaient et riaient beaucoup, mais aujourd'hui, le silence régnait.
Le bruit de la petite fille en train de téter fit couler le lait de Queue de Lemming. Elle glissa la main sous son parka, essuya ses seins et se mit à pleurer. Le souvenir surgit de la première fois qu'elle avait vu Kiin. Son ventre était gros de ses fils à naître, son visage pelait du sel après de longs jours dans un ik de commerçant. Même alors, Queue de Lemming avait su que Kiin apportait le malheur au village. Grand-mère et Tante aussi l'avaient compris. Mais où d'autres voyaient le mal, le Corbeau voyait le pouvoir.
Le pouvoir ! songea Queue de Lemming. La mort !
Qui pouvait douter que l'esprit maléfique de Kiin était avec le Peuple des Rivières ? Queue de Lemming s'accroupit près du feu et agita les cendres avec un bâton brûlé posé sur les pierres.
Les femmes l'observaient, mais ce soir elles dormiraient. Dyenen était un vieillard. Elle était plus forte que lui. Elle prendrait Souriceau et il ne pourrait l'en empêcher.
Kayugh et Samig dormirent dans la demeure des commerçants, Shuku bien serré entre eux. Samig attira l'enfant contre lui, se réjouissant de la chaleur de ce petit corps d'enfant.
Shuku avait d'abord pleuré, effrayé d'être seul avec des hommes, mais quand ils lui parlèrent en langue Premiers Hommes, il se calma et joua bientôt à de petits
jeux avec Samig. Finalement, lorsque le ciel s'assombrit pour une courte nuit, le garçon grimpa sur les genoux de Samig et, blotti contre lui, s'endormit.
— Kiin sera heureuse, dit Kayugh.
Ces paroles au fond de son cœur, Samig trouva le sommeil.
Queue de Lemming attendit que les autres femmes dorment profondément puis gagna à quatre pattes la porte du logis. Elle jeta un coup d'œil au-dehors. Les hommes qui montaient la garde étaient partis.
Le Peuple des Rivières : quels crétins ! L'imagi-naient-ils sotte au point de les laisser prendre son fils ?
Elle demeura à l'ombre des habitations, évitant les chiens couchés devant chaque porte. Parvenue devant chez Dyenen, elle s'arrêta. Souriceau y serait-il, ou bien une des épouses l'aurait-elle emporté dans une autre demeure ? Mieux valait vérifier ici d'abord, se dit-elle.
Les chiens de Dyenen relevèrent la tête en grognant. Le cœur de Queue de Lemming battait la chamade. Elle n'aimait pas les chiens mais connaissait ceux-là car elle les nourrissait tous les jours depuis son arrivée au village Rivière.
Elle leur parla donc posément, autorisant la femelle, mère de presque tous les autres, à renifler sa main. Les chiens se calmèrent et la laissèrent entrer.
Une fois à l'intérieur, elle tomba à quatre pattes. Il y faisait noir hormis le rougeoiement des braises de l'âtre. Elle distingua Dyenen enroulé dans sa robe de nuit puis chercha Souriceau des yeux. Elle tenta de repérer les petits sons qu'il émettait parfois dans son sommeil.
Dans l'obscurité, Dyenen lança :
— Crois-tu que je garderais les bébés avec moi ?
Queue de Lemming sursauta et se précipita vers la
porte.
— Tu ne les trouveras pas, enchaîna Dyenen. Tu ignores à qui je les ai confiés.
Queue de Lemming inspira longuement.
— Pourquoi permettre aux Premiers Hommes d'em-porter Souriceau ? J'ai été une bonne épouse pour toi. Je te donnerai d'autres fils. Peut-être est-ce que je porte déjà ton fils dans mon ventre.
— J'ai eu mon compte de tes fourberies, repartit Dyenen. Tes mensonges ont apporté la
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