Mon frère le vent
fois encore d'être le chef. Il était tellement plus simple qu'un autre lui dicte sa conduite. Pourtant, il sourit à son peuple.
— Nous avons besoin de nourriture — poissons, oursins, tout ce que vous avez récolté dans la journée, dit-il aux femmes avant d'ajouter à l'adresse des hommes : Ce soir, nous festoierons. Demain, les chasseurs feront ce qu'ils voudront : dormir, réparer leurs armes, pêcher, chasser. Selon la décision de chacun.
Samig pagaya jusqu'au rivage, rangea son kayak sur la claie puis rentra chez lui pour se préparer à ce qu'il avait décidé de faire.
Il commença quand le ciel s'illumina, avant même que les premiers rayons du soleil ne se montrent. Samig construisit un abri de vieilles nattes et de peaux de phoque, les empilant au-dessus de pieux de saule, nouant le tout avec de la ficelle de varech. Il n'avait apporté qu'une vessie d'eau, une lampe de chasseur et un peu d'huile. Rien de plus. Pas de nourriture. Pas de couvertures. Une fois l'abri achevé, il s'assit à l'extérieur, face à l'est, guettant le soleil. Une fois le jour levé, il gagna son abri, épointa la mèche de sa lampe et entama le cycle des jours et des nuits du chant aux esprits.
Lorsque Samig entendit enfin la voix, c'était le quatrième jour. Il pensa d'abord que c'était son père qui venait pour le ramener au village afin qu'il reprenne sa place parmi les Premiers Hommes. Puis il comprit que la voix venait de l'intérieur ; ce n'était pas une voix de force mais un gémissement, une voix d'enfant qui avait faim et sommeil.
Ainsi, c'est ce que je suis, songea Samig. Toujours un enfant, qui pense plus à moi qu'aux autres, exige de manger, exige le confort d'un lit bien au chaud. Quel droit ai-je de guider mon peuple ? Que leur ai-je donné hormis un endroit inconnu où vivre, avec des montagnes que nous ne connaissons pas et des animaux que nous ne comprenons pas ?
Il entonna un autre chant pour couvrir cette voix d'enfant, mais sa gorge était rauque après des jours passés à chanter. Chaque mot raclait comme de la pierre de lave sur sa peau. Sa voix intérieure était un miaulement enfantin, alors que la voix extérieure — les sons qui parvenaient aux oreilles de Samig — portait les paroles d'un vieil homme, rauques et brisées.
Finalement, il décida de s'accorder le réconfort du sommeil. Il exigea de rêver, mais son esprit avait besoin de paix et une part de lui-même espérait qu'aucun songe ne surgirait.
Ce qui vint fut le bois lisse et frais de la pagaie sous ses doigts, l'odeur d'huile et de cuir mêlés d'un ikyak. Puis la vision vint aussi, et l'audition. Il sut que ce n'était pas un rêve. Étrangement, il était dans son kayak, au milieu de la baie.
Il ne se souvenait pas d'avoir sorti son bateau. Un moment il était perdu dans les étranges pensées qui venaient au chasseur en plein jeûne, et soudain il pagayait, dans le vent glacial, ne portant que son tablier d'herbe tissée et le collier de perles de coquillages de Kiin ; pas de chigadax, pas de chapeau de baleinier, pas de bottes d'ailerons de phoque. Il était à nouveau à l'embouchure de la baie et, dans sa confusion, il n'arrivait pas à trouver le soleil derrière les nuages épais comme une fourrure de loutre.
L'eau était grise et Samig, en observant ses profon-deurs, sut que si un animal marin, furieux de la nudité de Samig, mordait le fond de son ikyak et y faisait un trou, le froid de l'eau s'infiltrerait rapidement en son corps et ferait s'arrêter son cœur.
— Je n'ai fait que travailler pour mon peuple, murmura Samig aux vaguelettes qui léchaient son bateau. Cet été, j'ai chassé autant que j'ai pu.
Il leva son poing difforme dont les doigts n'avaient pas lâché prise.
— Jusqu'à ceci, poursuivit-il. Désormais, je ne peux plus chasser. Waxtal a pris ce qui n'était pas sa part, mais j'ai fait de mon mieux. J'ai travaillé dur.
Sa voix était ténue sous le vaste dôme du ciel, et le vent emportait ses paroles à peine prononcées.
Soudain, au lieu de la mer, au lieu des peaux transparentes de son esquif, il vit les visages de son peuple. Puis le froid n'eut plus d'importance, non plus que la fatigue, non plus que la faim. Trois Poissons et Takha et Petit Couteau, eux, comptaient plus que son ventre douloureux. Kayugh et Chagak, Premier Flocon et Baie Rouge, Nez Crochu et Longues Dents, Mésange, la sœur de Samig, ses neveux Petit Galet et Loutre, le bébé. Coquille Bleue, la mère de
Weitere Kostenlose Bücher