Mon frère le vent
Hibou fronçait les sourcils et plissait les yeux.
— Tu as affirmé que c'était un village fort.
Waxtal se retourna pour suivre le regard du marchand
et remarqua que plusieurs ulas n'avaient pas de toit, des chevrons brisés pourrissant dans le sol. Œuf Moucheté désigna les claies qui n'abritaient que trois ikyan.
— Que s'est-il passé ici ? s'enquit Hibou.
Waxtal eut soudain la poitrine oppressée. Il frotta son amulette d'une main et s'accroupit pour trouver une défense dans son bateau. La surface en était fraîche et
le calme se répandit de sa main à son bras, puis sa poitrine. Son cœur se remit à battre régulièrement.
Puis, entre les ulas, il aperçut un homme. Quelqu'un de vieux, se dit-il d'abord, à cause de la lenteur de sa démarche, de ses épaules voûtées ; mais, tandis que l'homme s'approchait, Waxtal reconnut Roc Dur et tendit les mains.
— Je suis un ami, je n'ai pas de couteau. Je suis Waxtal, des Premiers Hommes, autrefois de la plage de Shuganan.
Roc Dur s'arrêta et plissa le front.
— Tu te souviens ? insista Waxtal. Nous sommes venus dans ton village et nous t'avons aidé à combattre les Petits Hommes. Rappelle-toi. C'est moi qui t'ai sauvé. C'est moi qui ai pensé que tu pouvais mettre deux troncs dans chaque trou de toit afin que les chasseurs puissent monter dos à dos pour se battre.
— Oiseau Gris ?
— Oui, dit Waxtal en souriant, j'étais Oiseau Gris. J'ai pris le nom de Waxtal en signe de deuil pour mon fils.
Roc Dur hocha la tête puis regarda les deux autres.
— Je t'ai amené des marchands.
— Nous ne pouvons vous nourrir.
— Nous sommes venus troquer, pas manger, dit Hibou.
— Nous partagerons ce que nous avons, échangerons ce que nous pourrons, dit Roc Dur dans un haussement d'épaules.
— Les baleines arriveront bientôt, se hâta de dire Waxtal.
Roc Dur le regarda avec étonnement.
— Tu crois connaître les manières des baleines ?
Rouge de honte, Waxtal se détourna.
— Nous sommes maudits, annonça Roc Dur.
Il s'avança sur Waxtal et pressa un doigt sur sa poitrine.
— Oui, vous les Traqueurs de Phoques nous avez sauvés. Puis un des vôtres nous a maudits. Vois ce que
nous sommes devenus. Si tu crois pouvoir prendre ce que nous avons — nos femmes et notre nourriture — tu t'apercevras que nous savons encore nous battre.
Waxtal sentit la colère lui nouer la gorge mais, se tournant vers les commerçants, il déclara :
— Roc Dur. les Chasseurs de Baleines et les Tra-queurs de Phoques ont toujours été frères. Pourquoi dis-tu que nous vous avons maudits ?
Roc Dur plongea le regard dans les yeux de Waxtal.
— Ce fut notre faute autant que la vôtre. Celui qui nous a maudits était le petit-fils du vieil homme qui était notre chef.
Nombreuses Baleines, songea Waxtal. Le vieux chef Nombreuses Baleines.
— Du moins celui qui nous a maudits, celui qui a appelé le feu d'Aka puis d'Okmok est mort, lui aussi. Bientôt il choisira de monter dans les Lumières Dansantes afin d'être avec ceux qui sont comme lui, et la malédiction sera levée.
L'esprit de Waxtal s'éclaircit et il comprit que Roc Dur parlait de Samig.
Samig ! Ainsi c'est pour cette raison que Samig a quitté les Chasseurs de Baleines. Et ils le croient mort.
Waxtal ouvrit la bouche pour parler, pour dire la vérité à Roc Dur, mais il se ravisa. Mieux valait attendre, voir ce que Roc Dur donnerait pour un tel renseignement. Une bonne façon de passer les nuits que de décider comment punir Samig d'avoir pris l'ulaq de Waxtal, sa nourriture, sa femme. Un rire soudain bouillonna dans la bouche de Waxtal qui dut incliner la tête et se cacher les lèvres.
Hibou s'avança.
— Nous n'apportons aucune malédiction, seulement de la force, le pouvoir des amulettes et la bénédiction des chamans, d'honnêtes échanges.
Et Waxtal, penchant toujours la tête, suivit les commerçants tandis que Roc Dur les conduisait au village.
25
Roc Dur tendit la tête de harpon à Waxtal. Après quatre jours à patienter, quatre jours de politesses, Waxtal avait enfin été invité chez lui. Peu lui importait cette attente qui lui avait donné le temps d'établir un plan dans ses moindres détails.
Maintenant que débutaient les échanges, Waxtal réfléchissait tout en étudiant la tête de harpon. Elle était en os de baleine, ébarbée des deux côtés, longue comme sa main. Le bout était épointé avec une encoche servant à maintenir le
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