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Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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avait prise peu après la pluie de cendres. Quelle plus grande preuve de la malédiction du village que la mort de la jeune et grande Pieds Blancs, enceinte de Phoque Mourant ? Qui pouvait expliquer pourquoi, alors qu'elle était en train de rire, elle serrait ses mains sur sa poitrine l'instant d'après ? Et avant l'arrivée de la nuit, elle était morte.
    Nombreux Bébés avait ouvert le ventre de la jeune femme dans l'espoir de sauver l'enfant, mais lui aussi était mort. Phoque Mourant avait une deuxième épouse, plus âgée, qui ne lui donnerait plus de fils. Aussi avaient-ils pris tous les enfants du village restés sans père ni mère. Du coup, même s'il ne lui restait qu'une épouse, Phoque Mourant avait de nombreuses bouches à nourrir.
    Il était robuste, avec des mains et des épaules deux fois plus larges que celles des autres, tout en dépassant à peine Kukutux. Cependant, il y avait dans ses yeux une douceur qui faisait sourire Kukutux quand elle le voyait en compagnie d'enfants. Cela dit, Phoque Mourant n'était pas homme à posséder de nombreuses femmes et elle l'avait plus d'une fois entendu se disputer avec les autres hommes quand ils se demandaient qui devrait s'occuper des trop nombreuses femmes du village.
    Kukutux avait entendu des pleurs dans la voix de Phoque Mourant qui demandait :
    — Comment un homme peut-il supporter la vue de ses épouses privées de vêtements, d'huile pour chauffer leurs mains et protéger leur visage ? Comment peut-il rentrer de la chasse avec assez pour une et voir la faim dans les yeux des autres épouses ? Comment un chasseur peut-il manger sa part quand il a trois ou quatre épouses contraintes de jeûner ? Mais si un chasseur ne mange pas, comment a-t-il la force de chasser ?
    Peut-être, songea Kukutux, me regardera-t-il une fois son deuil achevé, peut-être verra-t-il alors que je suis maigre et que je mange peu. Peut-être décidera-t-il de prendre une nouvelle deuxième épouse, qui l'aidera avec les enfants. Elle avala une autre bouchée et entendit des pas sur le toit de son ulaq. Levant les yeux sur la bande de flétan séché pendue à un chevron, elle éprouva l'envie honteuse de cacher sa nourriture. Qui possédait moins qu'elle ? Était-il juste qu'elle doive partager ce tout petit bout ? Mais elle se rappela les histoires de sa grand-mère évoquant les femmes égoïstes, les chasseurs qui ne donnaient pas en partage, et comment les esprits se retournaient contre eux, affaiblissant les chasseurs les plus forts et les femmes les plus accortes. Elle laissa donc le poisson où il était et se leva pour voir qui allait descendre du conduit de fumée.
    N'entendant aucune voix, elle invita finalement à descendre la personne qui se tenait en haut. À ses pieds et à ses jambes, elle reconnut Roc Dur et s'obligea à ne pas céder à la panique. Nombreux Bébés avait sûrement obligé Roc Dur à venir lui demander de quitter le village et reprendre sa part de flétan.
    Roc Dur se tint devant elle, paumes levées, si bien que Kukutux dit :
    — J'ai de la viande.
    Elle lui offrit une bande de flétan cru mais comprit avec horreur qu'un chasseur de son acabit la mangerait et en espérerait d'autres, peut-être la totalité de sa part à elle qui lui durerait cinq ou six jours.
    — De l'eau, dit Roc Dur, rien que de l'eau.
    Soulagée, elle prit une vessie de phoque d'eau qu'elle
    lui tendit. Roc Dur s'assit, porta l'outre à ses lèvres et but. Puis il s'essuya du revers de la main et lui rendit la vessie.
    Il fit signe à Kukutux de s'asseoir. Elle obéit. Il portait son suk en peau d'oiseau, des peaux noires de macareux assemblées grâce à des bandes de peau de phoque. Des perles taillées dans des coquilles de clams pendaient du bord de son haut col raide. Des morceaux d'œsophage de phoque, blancs d'avoir gelé pendant le séchage, étaient cousus comme ornement en une longue ligne sur le devant.
    Kukutux s'imagina un moment être l'épouse d'un tel homme, dont le nom était connu dans les villages de toutes les îles de la terre. Mais elle se rappela Nombreux Bébés, les mensonges qui venaient si aisément sur sa langue. Mieux valait vivre seule et en paix.
    Roc Dur s'éclaircit la gorge. Kukutux attendait, tête inclinée, yeux posés sur les nattes. Finalement, voyant que Roc Dur ne pipait mot, elle leva les yeux sur lui. Elle ne s'autorisa pas à le regarder dans les yeux, car cette familiarité était réservée aux épouses, mais elle

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