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Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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regarda sa bouche et attendit ses paroles.
    — Il te faut un mari, dit-il enfin avec rudesse.
    — Je comprends qu'il y a trop de femmes pour trop peu d'hommes. Je comprends que je n'ai ni oncle ni père pour parler pour moi. Même mon frère est mort.
    Roc Dur regarda fixement droit devant lui, comme s'il s'adressait à la lampe à huile.
    — J'ai songé un moment à te prendre pour troisième épouse. Mais Parle-comme-le-feu m'a demandé de prendre sa sœur puis Mangeur de Poissons m'a supplié pour sa nièce.
    Kukutux hocha la tête. Le fait qu'il ait envisagé de la prendre lui réchauffa le cœur ; elle oublia la raideur de son bras, comprit que les hommes ne la trouvaient ni laide, ni paresseuse, et encore désirable.
    — Tous les hommes ont désormais trop de femmes, ajouta Roc Dur. Aucun chasseur n'arrive à nourrir ses femmes et ses enfants.
    Kukutux jeta un œil sur son coin à paniers. Pourquoi Roc Dur était : il venu ? Pour lui expliquer la raison de sa solitude ? À quoi bon ? Il n'avait pas l'air fâché et n'avait pas mentionné le flétan, mais qui savait ce que lui avait raconté Nombreux Bébés ?
    — J'ai pris un flétan, aujourd'hui, dit-elle le visage tourné vers les paniers tissés avant que la cendre ne tue l'herbe.
    Comme il se taisait, Kukutux affronta son regard et reprit :
    — C'est moi qui l'ai pris, moi, pas Nombreux Bébés.
    Roc Dur haussa les épaules.
    — Elle a revendiqué le poisson, insista Kukutux. Elle a dit aux hommes que je mentais, que c'était le sien.
    — Tu t'es servie de son ik ? demanda enfin Roc Dur.
    — Oui. Je n'en ai plus. Pas depuis... depuis...
    — Tu mets du bois de côté pour construire une armature ?
    — J'en mettais, oui, répondit-elle en baissant la tête.
    — Et plus maintenant ?
    — Non.
    — Es-tu trop paresseuse ?
    — Qui le construira ? lança-t-elle, soudain furieuse. Je n'ai pas de mari. Si je garde du bois pour une armature de canoë, qui me le construira ? Qui me donnera des peaux de lion de mer pour la couverture ?
    La rage de tant de pertes, des mensonges de Nom-breux Bébés, et la douleur de son ventre trop longtemps vide poussaient les mots avec force comme ceux d'un homme courroucé.
    — C'était Pik de Nombreux Bébés, objecta Roc Dur. Elle avait droit à la part du pêcheur.
    Kukutux dévisagea l'homme.
    — Est-ce quelque chose de nouveau ? Les habitants de ce village ont-ils décrété que la propriétaire de l'ik obtient la plus grosse part ? Peut-être ont-ils pris cette décision pendant que Nombreux Bébés et moi étions sorties. Peut-être ont-ils oublié de m'avertir quand je suis rentrée avec le flétan encore à mon hameçon.
    Elle attendit et, voyant que Roc Dur ne répondait pas, elle enchaîna.
    — Et cette décision affirme-t-elle que la propriétaire du canoë ment également au sujet de celle qui a attrapé le poisson ?
    Puis, n'ayant plus de mots, plus rien à dire, elle plongea ses yeux dans ceux du chef, s'armant contre la colère qu'elle y verrait. Mais ses yeux étaient plats ; Kukutux n'y vit rien, pas même l'image de son propre visage.
    Il parla enfin. Sa voix était calme, les mots espacés et claquants comme s'il s'adressait à quelqu'un qui comprenait à peine.
    — Il y a un homme qui pourrait te prendre pour épouse. Il y a un homme qui pense que tu es belle. Il n'a pas d'épouse et donnera beaucoup en échange. Mais il demande à passer d'abord la nuit avec toi pour voir le genre de femme que tu es.
    Le cœur de Kukutux se serra, la réduisant au silence. Puis elle dit :
    — Tous nos hommes ont des femmes.
    — C'est un des marchands.
    Kukutux se leva et, oubliant toute courtoisie, tourna le dos à Roc Dur et croisa les bras sur sa poitrine, se plantant devant la porte de la chambre de son époux.
    — Je suis en deuil, dit-elle en jetant les mots par-dessus son épaule comme elle aurait jeté les entrailles de poisson aux mouettes.
    — Ton mari est mort depuis de nombreux mois.
    — Peut-on mettre une limite à son deuil ? Une femme dit-elle « Une lune, deux lunes, le chagrin rongera mon cœur, puis je danserai, puis je chanterai » ? Est-ce ainsi parmi notre peuple ? Peut-être sont-ce des manières de commerçants. Qui est-il ? Du Peuple des Caribous ?
    Elle se retourna et constata que Roc Dur était debout.
    — Il t'a demandée. Cette nuit.
    — Aucun homme dans ce village n'est mari, oncle ou père pour moi. Aucun homme n'a le droit de dire ce que je dois

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