Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
de la viande et du pain blanc. Mais nous savons la vérité, et nous pouvons vous mettre en situation de vous en assurer par vos propres yeux.
— Quand commencèrent ces déportations ?
— Les premiers ordres sont arrivés en juillet. Les autorités allemandes demandaient cinq mille personnes par jour. Elles étaient prétendument envoyées hors de Warszawa pour travailler. En réalité elles allaient directement dans des camps d’extermination. Ensuite, cela monta à six, sept et finalement dix mille hommes par jour. Lorsque Czerniakow, un ingénieur qui était à la tête de la communauté juive, reçut la demande de dix mille « travailleurs » par jour, il se suicida cxlvi . Il savait ce que cela signifiait.
— Combien y eut-il de « déportés » en tout ?
— Plus de trois cent mille. Il reste un peu plus de cent mille personnes, mais les déportations continuent cxlvii …
Je blêmis. Nous étions au début d’octobre 1942 cxlviii . En deux mois et demi, dans le seul ghetto de Warszawa, les nazis avaient commis trois cent mille assassinats !
C’est de cela que je devais informer le monde.
Mes compagnons me proposèrent de m’emmener dans le ghetto de Warszawa pour y contempler de mes yeux le spectacle d’un peuple expirant. Un témoin oculaire serait plus convaincant qu’un simple porte-parole. Ils me prévinrent, en même temps que, si j’acceptais, je risquais ma vie, et que je serais hanté pour le reste de mes jours par les scènes macabres auxquelles j’assisterais. Je leur dis que j’acceptais.
Notre deuxième rencontre eut lieu au même endroit. Elle fut consacrée à notre expédition au ghetto et à la manière d’exposer la situation des Juifs une fois que je serais à London. Pour terminer, je leur demandai ce que je devrais répondre à la question : Comment les aider ? Leur réponse fut amère et réaliste. Ils parlèrent comme des hommes qui savaient que la plupart des propositions qu’ils avaient à faire ne pourraient être mises à exécution, mais qu’ils devaient les faire comme étant les seules à pouvoir arrêter les souffrances de leur peuple.
Le sioniste parla le premier :
— Les Allemands ne comprennent que la force et la violence. Il faut bombarder les villes allemandes sans pitié, et à chaque bombardement jeter des tracts informant les Allemands du sort des Juifs polonais ; il faut menacer toute la nation allemande d’un sort similaire, à la fois pendant et après la guerre. Nous ne souhaitons pas un carnage dans la population, mais une telle menace est le seul moyen d’arrêter les atrocités allemandes. La peur de telles représailles devrait amener la population allemande à faire pression sur ses chefs pour qu’ils renoncent à leur politique criminelle. C’est tout ce que nous voulons.
— Nous savons, ajouta le leader du Bund, qu’il est possible que ce plan ne soit pas accepté, car il n’a pas sa place dans la stratégie militaire des Alliés. Mais ni les Juifs ni ceux qui veulent les aider ne sauraient considérer cette guerre d’un point de vue purement militaire. Dites aux gouvernements alliés que, s’ils veulent vraiment nous aider, ils doivent déclarer officiellement au gouvernement et au peuple allemands que la poursuite de leurs atrocités leur attirera de terribles représailles, la destruction systématique de toute l’Allemagne !
— Je comprends, dis-je, je ferai de mon mieux pour leur faire comprendre ce que vous m’avez dit.
— Il faut ajouter encore une chose, dit le leader sioniste : Hitler a déclaré que les Allemands, tous les Allemands, où qu’ils vivent, constituent une seule race, une seule entité nationale et politique. Il les a unis en une seule armée vouée à la domination du monde et à la création d’une « nouvelle civilisation ». Hitler a proclamé que dans cette civilisation il n’y a pas de place pour les Juifs, qui doivent être exterminés. C’est une situation sans précédent dans l’histoire, à laquelle il faut une réaction sans précédent. Que les gouvernements alliés, partout où ils pourront les atteindre, en Amérique, en Angleterre, en Afrique, ordonnent des exécutions publiques des Allemands ! Voilà ce que nous demandons.
— Mais c’est une idée extravagante, m’écriai-je, une telle demande ne peut que surprendre et horrifier ceux qui veulent vous aider.
— Bien évidemment ! Pensez-vous que je ne le sais pas ? Nous le demandons parce que
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