Montségur, 1201
l’accompagner.
Guilhem n’excluait pas que celui qui avait attenté
à la vie d’Amicie ne profite de ce voyage. S’il apprenait que la jeune veuve se
déplaçait avec une faible escorte, il pourrait tenter une embuscade. Dans ce
cas, Alaric et Ferrand seraient de bons compagnons d’armes, sauf si c’était
l’un d’eux qui avait déposé l’essaim. Ce voyage serait donc aussi une occasion
de les mettre à l’épreuve.
La quarantaine passée, Alaric était certes âgé.
Mais c’était une force de la nature, d’une incroyable résistance. Guilhem
s’était battu avec lui pour éprouver sa vigueur et avait été surpris par son
endurance au maniement du marteau d’armes. De plus, il connaissait bien le pays
toulousain dont il parlait tous les dialectes.
Même front dégagé et mêmes arcades sourcilières
épaisses, son cousin lui ressemblait, avec cependant moins d’esprit.
Guilhem les équipa de broigne maclée et d’un
camail. Il leur offrit un casque en pointe à nasal, une épée et des gants de
mailles. Tous deux monteraient un cheval, puisqu’il n’en manquait pas à
Lamaguère.
En cette saison, un voyage de deux jours serait
fatiguant, et même si Amicie avait retrouvé sa vitalité, Guilhem s’inquiétait
pour elle. Il avait donc demandé à Thomas de construire un coffre dans lequel
les femmes pourraient tenir assises. Montée sur de longs brancards suspendus
aux harnais de chevaux, l’un devant et l’autre derrière, cette litière
permettrait un voyage plus reposant qu’en croupe.
N’étant jamais montée à cheval, Ermessinde
approuva mais sa maîtresse s’y opposa. À Saverdun, Amicie avait l’habitude de
chevaucher et refusait d’être transportée dans une charrette, même si Guenièvre
l’avait accepté pour l’amour de Lancelot.
Elle se fit donc faire une robe suffisamment ample
pour tenir en croupe et Thomas le cordonnier lui fabriqua une selle avec une
bâte de dos confortable. Pour Ermessinde, il en fit une seconde, plus large,
avec des bâtes de cuisses. Cette selle-là serait harnachée sur une placide
mule.
Ils partirent le vendredi saint, sous un ciel de
neige. Guilhem avait attaché une rondache et une hache à la selle de son
robuste palefroi pommelé. Sous son haubert, casqué et protégé par un hoqueton
de laine, il avait revêtu son gambison de cuir écarlate et ses heuses de la
même couleur. Il avançait en tête.
Les deux femmes le suivaient, puis Alaric.
Derrière encore, Espes tenait en longe deux vigoureux roussins et une mule avec
leurs bagages dans des coffres, quelques armes et la boîte de la vielle à roue
de Guilhem. Il l’avait emportée, car il se doutait qu’à Saint-Gilles, le comte
lui demanderait d’interpréter des chants de sa composition.
Ferrand fermait la marche. Comme son cousin, il
portait une trousse de carreaux à la taille et son arbalète pendait au pommeau
de sa selle.
Ce séjour ferait du bien à Amicie, espérait
Guilhem. Assister à des jeux courtois et à des joutes de fin’amor lui ferait
peut-être regretter ses vœux de Parfaite. Après tout, bien des femmes croyant
avoir trouvé cette vocation, avaient finalement regretté de s’être engagées, et
on ne leur avait pas reproché d’avoir rompu les vœux du consolamentum et
refusé l’ endura .
Le soir, ils obtinrent gîte et hospitalité dans un
couvent. Le lendemain, Ermessinde souffrait d’un catarrhe et de fièvre, aussi
Amicie lui laissa-t-elle son manteau de laine au col en martre. À la place,
elle prit le hoqueton sans manche de sa servante.
Dans l’après-midi ils passèrent l’Aussonnelle [32] à gué derrière une
charrette de fagots tirée par deux vilains. En montant le chemin vers
Saint-Gilles, d’où les guetteurs avaient dû les voir arriver, ils entendirent
trompettes et tambours. Sans doute se déroulait-il des joutes ou un tournoi à
l’occasion des fêtes de Pâques.
Devenu comte de Toulouse sous le nom de
Raymond IV [33] ,
le grand-père de Raymond de Saint-Gilles avait observé que le flanc de son
comté situé au couchant était bien mal protégé. Pour se prévenir des invasions
venant par-là, il avait fait construire, à quatre lieues de Toulouse, un
château de défense sur l’arête d’un plateau dominant l’Aussonnelle. Jusque-là
l’endroit n’était qu’une salvetat, c’est-à-dire un refuge offert par une
seigneurie à une abbaye ou un prieuré. En échange de la protection de l’Église,
ceux qui
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