Montségur, 1201
avait éprouvé une profonde culpabilité
tant pour elle que pour la perte de sa descendance.
— Que voulez-vous que je fasse ?
demanda-t-il, conciliant.
— Quand votre père s’est rendu compte qu’il
avait fait fausse route en laissant se développer l’hérésie, il a appelé
Cîteaux à son secours. L’abbé Amaury est prêt à vous aider à nouveau. Vous
n’avez qu’à appliquer sans défaillance les décisions du concile de Reims [30] . Arrêtez les
diacres, faites-les monter sur des bûchers, marquez d’un fer rouge au front
ceux qui refusent de retourner dans l’Église et bannissez-les, répondit
Castelnau.
— La punition de l’hérésie est du domaine de
l’Église, remarqua Raymond, mal à l’aise.
— Non ! Le concile de Vérone [31] a décrété que les
hérétiques, refusant de se convertir, doivent être livrés à la justice
séculière pour qu’ils soient punis conformément à leur crime ! glapit
Bernard d’Urgio.
— Il faut agir, seigneur comte ! gronda
Castelnau. Les hérétiques ont leurs propres cimetières. Que l’on déterre leurs
cadavres et qu’on les jette dans les flammes !
— Vous avez tout à y gagner, seigneur comte,
ajouta insidieusement frère Guy. Notre Saint-Père Innocent III a ordonné
que ceux qui refuseront de revenir à l’Église soient frappés d’une amende qui
ne sera pas moindre que la quatrième partie de leurs biens. Vous vous
enrichirez !
— Pouvez-vous m’assurer que ceux qui
retourneront dans l’Église de Rome ne subiront aucun châtiment ?
— Ils supporteront quand même des pénitences,
répliqua Castelnau. Pour avoir écouté l’infâme hérésie, ils devront se rendre
en procession, dépouillés de leurs vêtements jusqu’à la chemise, devant le
portail de leur église. Là, ils seront publiquement frappés de verges, et ceci
tous les dimanches du carême. De plus, ils devront porter deux croix de
différentes couleurs sur leur poitrine, pour que chacun connaisse leur crime.
— Je vais réfléchir à vos fortes paroles, et
prendre conseil, révérends pères. Restez parmi nous durant ces fêtes de Pâques.
Vous trouverez à loger au couvent et vous serez les bienvenus au château où
vous pourrez rencontrer mes vassaux. Chaque jour, il y aura un banquet
agrémenté de gentils troubadours qui vous charmeront. Oublions l’hérésie
quelque temps et nous reparlerons de tout cela plus tard.
Frère Guy considéra ses deux compagnons qui
opinèrent. Ils allaient se retirer quand Bernard d’Urgio ajouta :
— Nous prenons acte de votre bonne volonté et
nous vous remercions pour ce que vous allez faire, très gracieux comte, mais la
lutte contre l’hérésie ne doit pas se faire uniquement contre les Parfaits. Il
faut aussi combattre ceux qui les protègent, et, parmi eux, il y a le comte de
Foix.
— J’ai eu des querelles avec lui, mais vous
savez comme moi qu’il n’est pas cathare. Au contraire, il fait de magnifiques
donations aux couvents et aux abbayes de son comté.
— Mais ses sœurs le sont ! glapit
Bernard d’Urgio en se dressant comme un coq.
— Je l’ignore, répliqua assez sèchement
Raymond. Vous aurez cependant l’occasion d’en parler à dame Esclarmonde, elle
sera ici cet après-midi.
— Vous recevez cette hérétique !
s’étouffa Bernard d’Urgio.
— Mes pères, vous êtes les bienvenus comme
tous ceux que je reçois pour honorer la passion et la résurrection du Christ.
Que Dieu vous conserve en sa sainte garde. Nous reprendrons cette conversation
après les fêtes, dit Saint-Gilles, faisant comprendre que l’audience était
terminée.
Chapitre 9
D urant
la semaine sainte, Bartolomeo avait été invité à Lasseubes par le père
d’Alazaïs. On parlait maintenant de mariage et Guilhem ne voulait pas
contrarier le bonheur de celui qui avait été son écuyer, aussi décida-t-il de
ne pas lui demander de l’accompagner à la Salvetat de Saint-Gilles. Au
demeurant, il n’y avait aucun péril à voyager dans le comté de Toulouse où les
larrons de grand chemin étaient rares.
Amicie emmènerait ses serviteurs : Ermessinde
et Espes Figueira, auxquels elle devait tant. Quant à Guilhem, il aurait
volontiers choisi Jehan le Flamand comme écuyer, celui-ci lui ayant prouvé sa
fidélité à Paris, mais craignant une félonie de Gilabert de Beaumont, il avait
préféré lui confier la défense de son château. Aussi retint-il Alaric et son
cousin Ferrand pour
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