Montségur, 1201
depuis des années car celui-ci avait
été le capitaine des gardes du château.
— Seigneur de Lamaguère, je vous
attendais ! salua-t-il chaleureusement.
— Salut à toi, noble Fajac. J’observe qu’il y
a beaucoup de monde.
— Le château, l’hôtellerie et le couvent
regorgent d’invités. Quelques-uns sont contraints de loger dans des tentes et
j’ai même requis les masures des vilains. Outre la présence de l’ambassade du
roi d’Aragon, notre noble comte a convié, pour la semaine sainte, nombre de ses
vassaux et plusieurs troubadours.
— L’ambassade est arrivée ? s’enquit
Guilhem.
— Il y a deux jours. Conduite par un oncle du
roi accompagné de ses chevaliers et de leurs écuyers, elle comprend des
prélats, un abbé, un médecin, un chirurgien ainsi qu’un nombre incroyable de
clercs de la chancellerie d’Aragon. De plus, ils ont voyagé en cortège avec une
ambassade que le voïvode de Transylvanie avait envoyée à la cour de Barcelone
et qui rentre en Hongrie. Par chance, ceux-là ne sont que quatre et logent dans
leur tente.
Déjà Guilhem était descendu de cheval et Espes
aidait sa maîtresse à mettre pied à terre.
— Ce sont eux, là-bas ? demanda-t-il.
Il désigna du doigt la tente, avec les deux
chevaliers au teint cuivré.
— Oui, un noble seigneur hongrois : le
comte Vladislas de Valachie. Il s’est rendu à Barcelone pour le projet de
mariage d’une princesse magyare de sa famille avec un prince d’Aragon.
— La suite de la noble sœur du comte de Foix
vient aussi d’arriver, observa Guilhem, montrant la litière et les hommes
d’armes qui portaient des surcots peints de trois pals rouges sur fond d’or.
— Dame Esclarmonde de L'Isle-Jourdain est en
ce moment avec notre seigneur comte, confirma l’intendant.
— Aurons-nous une place où loger avec tout ce
monde ? plaisanta Guilhem, qui en vérité ne s’inquiétait pas.
— J’ai gardé une chambre pour toi et tes gens
à l’hôtellerie. Il y a un grand lit où l’on peut dormir à huit. Quant à dame
Amicie, elle logera avec la noble dame Esclarmonde et ses servantes, dans le
château.
— Bien ! approuva Guilhem qui demanda
alors à Alaric et à son cousin de s’occuper des chevaux et des bagages.
— Voulez-vous que je vous conduise au
seigneur comte ? proposa l’intendant à Amicie. Il ne devrait pas rester
longtemps avec dame Esclarmonde.
— Ce serait en effet courtois de le saluer,
répondit fraîchement Amicie.
— Je vous accompagne, décida Guilhem.
Ils suivirent l’intendant, franchirent le
pont-levis et pénétrèrent dans une étroite cour entourée d’une galerie à
laquelle on accédait par un grand escalier. Guilhem et Amicie connaissaient
bien les lieux pour y avoir vécu.
— La route a été longue, vous devez avoir
faim ! ajouta Fajac. Le banquet débutera dans moins d’une heure.
— En arrivant, j’ai vu un chevalier
teutonique qui combattait avec Renaud, fit Guilhem. Je n’avais jamais vu des
gens de ce vaillant ordre dans le Toulousain.
— J’ai oublié de t’en parler. Il se nomme
Conrad de Tannhäuser et se rend à Tolède avec son compagnon, Wolfram
d’Eschenbach, lui aussi chevalier. Ce sont des troubadours très réputés dans
leur pays. On les nomme là-bas des minnesingers . Vous serez voisins dans
l’hôtellerie.
Le comte avait sa chambre au premier étage. Elle
ouvrait sur la galerie et quelques serviteurs et écuyers attendaient devant la
porte. Fajac les interrogea. On lui répondit que la sœur du comte de Foix était
encore avec le comte Raymond. Ils patientèrent donc, eux aussi, jusqu’à ce que
la porte s’ouvre.
Une femme en bliaut de soie et d’argent en sortit.
La cinquantaine, d’un maintien altier, elle était encore très belle. C’était
Esclarmonde de Foix, comtesse de L'Isle-Jourdain [39] . Derrière elle se tenait un
homme vigoureux, revêtu d’une lourde robe rouge brodée d’une croix cléchée en
fil d’or : Raymond de Saint-Gilles.
Immédiatement, Esclarmonde reconnut Amicie qu’elle
avait déjà rencontrée, et un beau sourire éclaira son visage.
Esclarmonde était veuve depuis quelques mois.
D’une grande beauté dans sa jeunesse, elle avait grandi dans une cour cultivée
ouverte aux idées nouvelles apportées par les troubadours. C’est à Foix qu’elle
avait été instruite dans la doctrine des bons hommes dont elle était
devenue la protectrice. Depuis son veuvage, elle
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