Montségur et l'enigme cathare
qu’un tel fait se
produisait. D’ailleurs, sa conscience était en repos : on avait laissé aux
hérétiques le choix de leur destin, et s’ils avaient préféré mourir, cela
engageait leur propre responsabilité. Telle était la dure loi de l’époque, et
personne ne s’en offusquait, pas même les Cathares, pour qui le mépris du monde
constituait une règle de vie.
On oublie un peu trop cet aspect du problème. Il était normal,
en ce temps-là, de brûler des gens pour leurs opinions religieuses, la règle d’or
étant d’éliminer tout ce qui n’était pas orthodoxe pour le plus grand bien de
la majorité des croyants. Ce n’était qu’une application d’une parole de l’Évangile :
quand une branche est pourrie, on la coupe et on la brûle, il y va de la survie
du reste de l’arbre. Jamais les Inquisiteurs, en dehors de quelques fanatiques
dont les névroses et le sadisme ne sont plus à démontrer, n’ont eu le sentiment
de commettre des injustices en envoyant des hommes et des femmes au bûcher, après
les avoir fait torturer. Autres temps, autres mœurs. D’ailleurs, si les
Cathares avaient dominé l’Occitane, ils auraient probablement agi de la même
façon vis-à-vis des catholiques qui n’auraient pas voulu abjurer leur foi. On a
vu ce qu’une telle attitude peut provoquer, au moment des guerres entre
Protestants et Catholiques : la tolérance n’existait ni d’un côté, ni de l’autre.
La violence, par contre, était dans les deux camps.
Le bûcher de Montségur nous semble une ignominie. Mais on
oublie de dire que les Cathares qui y ont péri étaient
heureux : les flammes leur permettaient d’accéder à la Perfection
qu’ils avaient recherchée toute leur vie. Est-ce choquant de faire cette
remarque ?
Il est vrai que le bûcher brûle toujours, comme le dit André
Breton, dans un de ses poèmes. Et il n’est pas près de s’éteindre dans nos
esprits enfumés.
C’est par lui que Montségur est entré dans l’Histoire. Et
aussi dans la Légende. Mais où se situe la différence entre l’Histoire et la
Légende ?
III
LE CHÂTEAU DE QUÉRIBUS
Montségur n’a pas été l’unique citadelle des Cathares, et le
bûcher allumé le 16 mars 1244, s’il a porté un coup très dur à la
résistance occitane, n’a pas marqué la fin du catharisme. D’ailleurs, une autre
de ces forteresses tiendra onze ans après la prise de Montségur, une forteresse
aussi importante et imposante, celle de Quéribus, beaucoup plus à l’est, aux
limites de l’Occitanie et de la Catalogne, donc dans une région frontalière
dont l’histoire a toujours été aussi tourmentée que son relief.
Ici, ce ne sont plus les Pyrénées, mais les Corbières. Il s’agit
d’un massif montagneux aride, délimité au nord par la vallée de l’Aude, au sud
par celle de l’Agly, et qui forme une sorte de zone intermédiaire entre le
Massif Central et les Pyrénées. Ici, le climat est méditerranéen, ce qui ne l’empêche
pas d’être rude certains hivers. Pays de la vigne, du moins sur les pentes bien
exposées et protégées de la tramontane, c’est pourtant une « gaste terre »,
pour reprendre l’expression utilisée dans La Quête du
Saint-Graal pour désigner le pays désolé qui entoure le château du
Roi-Pêcheur : la pierraille et les arbustes y dominent, comme si le vent
et le soleil s’étaient ligués pour détruire longuement et patiemment ces
arrogantes éminences rocheuses que le ciel ne peut supporter.
C’est au sommet de l’une des émergences calcaires de la barrière
méridionale du massif des Corbières que le château de Quéribus se dresse, comme
un fantôme pétrifié qui surveillerait à la fois la montagne et la mer. La crête
rocheuse qui le supporte, traçant la limite des départements de l’Aude et des
Pyrénées-Orientales, s’étire d’est en ouest depuis Tautavel jusqu’à Bugarach, dans
le comté de Razès, autre endroit étrange où rôde le souvenir des plus anciens
Cathares. Cette crête peut être franchie à l’heure actuelle par trois passages,
dont le Grau de Maury, autrefois nommé Grau de Quéribus, dominé d’un côté par
la Roque de la Poucatière, qui culmine à 770 mètres, et le Roc du Courbas,
à 939 mètres, de l’autre par la puissante masse du château qui en était le
verrou. Car cette barrière méridionale des Corbières est difficile à franchir
du nord au sud, et c’est la raison pour laquelle elle a longtemps
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