Montségur et l'enigme cathare
l’ouest, surtout après 1140, date à laquelle l’empereur Manuel
Comnène prend des mesures énergiques contre eux et contre leur influence dans
la cité. On les retrouve alors en grand nombre sur les territoires qui forment
aujourd’hui la Yougoslavie, sur la côte dalmate et dans l’Italie du nord. Bientôt
ils s’infiltrent dans les villes italiennes, s’avancent vers l’Occitanie et la
France du nord. Un document copié sur les registres de l’Inquisition de Carcassonne
mentionne « le secret des hérétiques de Concorezzo, apporté de Bulgarie
par l’évêque Nazaire ». Car, au Moyen Âge, en Occident, il n’est pas
question des Bogomiles, mais des Bulgares , ou
des Bougres , ainsi nommés à cause du pays où
les Bogomiles ont connu leur implantation la plus durable.
Les Bogomiles sont-ils arrivés jusqu’à Montségur et ont-ils
provoqué l’éclosion du catharisme ? On serait tenté de voir une filiation
directe entre les Bogomiles et les Cathares : leurs doctrines respectives
offrent des points communs plus qu’évidents, et ce sont des dualistes. De plus,
ce nom de Bugarach, dans le Razès, témoigne bien, sinon de la présence
effective de Bogomiles bulgares dans la région, du moins d’un rapport entre les
hérésies bulgare et albigeoise. D’ailleurs, on a retrouvé, en Occitanie, quelques
monuments figurés qui évoquent irrésistiblement l’art bogomile, ne seraient-ce
que les fameuses croix discoïdales. Ces croix, on en dénombre beaucoup en
Occitanie. Il y en a en Bulgarie. Mais il y en a aussi en Suède, pays d’origine
des Wisigoths.
Il est difficile de conclure quoi que ce soit à propos de
ces croix de pierre. On sait que les Bogomiles refusaient d’honorer la Croix
telle que les Romains l’imposaient. Pour eux, la Croix n’était pas l’instrument
du supplice de Jésus, mais un symbole solaire, ou encore une représentation
géométrique de l’homme-Jésus avec quatre branches qui sont la tête, les deux
bras et les jambes. Il s’agit donc d’un Christ vivant et non d’un dieu mort sur un instrument de supplice réservé aux plus basses
classes. Pour eux, comme plus tard pour les Cathares, on ne pouvait représenter
Jésus que comme un Homme vivant, les bras largement ouverts, ou remplacer sa
tête par une représentation solaire qui impliquait une tout autre signification.
Et quand les Bogomiles et les Cathares utilisaient la croix latine, ils n’y
figuraient jamais le corps de Jésus, pensant qu’une telle représentation
montrait quelque chose d’humiliant et de bas. Plus tard, les protestants feront
de même. Et, chez les Cathares, on utilisera parfois la rosace qui symbolise le
Christ solaire.
Sans nier une possible influence bogomile sur certaines
croix découvertes en Occitanie, il faut bien remarquer que ces croix sont
normales dans un pays qui relevait des comtes de Toulouse. Pourquoi y voir à
tout prix des symboles cathares ou bogomiles ? La croix à quatre branches
inscrite dans un cercle fait partie des armes des comtes de Toulouse, et elle
est très ancienne, fort antérieure à la période cathare. De nombreux exégètes
se sont penchés sur le problème de ces croix. Des « ésotéristes » et
des « hermétistes » de tous bords ont déversé des flots de paroles
sur ces croix. Certes, elles intriguent. Mais si l’on avait la curiosité d’aller
regarder, par exemple, au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale de
Paris, les monnaies gauloises du peuple des Volques Tectosages qui occupaient
le Languedoc à l’époque de César, on s’apercevrait qu’une grande partie de ces
monnaies comporte la fameuse croix à quatre branches inscrite dans un cercle, la
mystérieuse croix discoïdale. Dans l’Occitanie toulousaine, cette croix est
indubitablement celtique, l’archéologie et la numismatique nous le disent bien.
Elle n’a rien à voir avec les Bogomiles, ni avec les Cathares, sauf qu’elle
appartient à la fois au domaine culturel bulgare et occitan. Et aussi, ne l’oublions
pas, au domaine culturel suédois dont sont issus les Wisigoths.
Cela dit, il paraît impensable de nier les contacts entre Bogomiles
et futurs Cathares. Leurs doctrines sont trop proches. Et certains monuments
figurés autres que les croix montrent, comme le fait remarquer René Nelli, « qu’il
y a eu, entre Bogomiles et Cathares, les mêmes contacts sur le plan de la symbolique
figurée que sur le plan religieux et philosophique. Nous ne
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