Montségur et l'enigme cathare
prétendons pas
naturellement que les Bogomiles ont inventé ces thèmes, mais nous croyons que c’est
à eux que les Cathares les ont empruntés [17] ». La cause paraît
entendue.
De toute façon, le bogomilisme est, dans son essence, un mélange
original entre un sérieux effort pour réaliser en ce monde une morale
chrétienne réformée, et un dualisme d’abord vécu dans le quotidien avant de
devenir un dogme. « Le bogomilisme est apparenté de très près à l’extraordinaire
mouvement hérétique de l’Occident et lui a apporté l’enseignement dualiste. Mais
Bogomiles et Cathares ne sont absolument pas identiques. L’Occident n’est en
aucune façon, non plus dans les hérétiques qu’il a pour la plupart persécutés, une
simple copie de l’Orient. L’enseignement, les Écritures, les missionnaires
pouvaient venir d’Orient. Mais l’hérésie avait en Occident, depuis le début de
ce millénaire, ses lois et son visage bien à elle [18] . »
Il faut en effet se méfier des ressemblances et éviter de superposer
les unes sur les autres des cultures fort différentes d’origine et d’essence. Si
des analogies sont évidentes, et réelles, entre deux modes religieux, cela ne
veut pas dire automatiquement que l’un découle de l’autre.
Si l’Orient comptait ses hérésies, l’Occident n’en manquait
pas. Il y avait eu de multiples discussions dans les conciles, et partout, de
nouvelles idées suscitaient des mouvements allant jusqu’à la constitution de
sectes, parfois seulement jusqu’à des prédications sans suite. La grande peur
de l’an Mil n’avait fait que favoriser le prophétisme à la petite semaine, et
il en restait quelque chose dans les esprits, même si l’on savait que la fin du
Monde n’était pas pour le lendemain.
Dans les premières années du XI e siècle,
un paysan de Champagne rentre un jour de son champ, chasse sa femme et, après
avoir brisé le crucifix de l’église, refuse au prêtre le paiement de la dîme et
tient d’éloquents discours pour rejeter les livres de l’Ancien Testament. Il
fait bientôt des adeptes parmi les paysans, mais finalement abandonné de tous, il
se jette dans un puits. Était-il fou ? On peut cependant reconnaître dans
sa folie quelques éléments bien connus du bogomilisme.
En 1018, en Aquitaine, se constitue un groupe important qui
conteste le pouvoir de la Croix, le baptême et le mariage, et refuse certains
aliments. En 1022, aux environs de Toulouse, des hérétiques aux enseignements
mystérieux se rassemblent, venus de diverses régions occidentales. En 1022, un
paysan du Périgord entraîne dans sa prédication quelques nobles et quelques
prêtres de Sainte-Croix d’Orléans : ils vont porter la bonne parole jusqu’à
Rouen. Et ce qu’ils proposent, soi-disant pour réformer l’Église, ce sont tout
bonnement les théories bogomiles. Pour eux, la matière est impure ; le
mariage, le baptême, la confession et l’eucharistie doivent être rejetés, de
même que la hiérarchie ecclésiastique, les œuvres dites pieuses et les prières.
Les « vrais chrétiens » vivent de la nourriture céleste, et le
croyant est purifié par l’imposition des mains. Condamnés au bûcher par ordre
du roi Robert II, ils sont allés s’y installer en riant et ont subi leur
sort en hommes sûrs de gagner immédiatement le « Paradis de Lumière ».
Les exemples de toutes sortes abondent en cette époque. L’ancien
prêtre provençal Pierre de Bruis parcourt le sud de la France en affirmant qu’il
faut démolir les églises, brûler le crucifix au lieu d’adorer l’instrument de
supplice du Christ, et prier n’importe où, même dans une étable. Pierre de
Bruis est brûlé en 1126. En Flandre, c’est un laïc, nommé Tanchelm, qui se déchaîne
contre l’Église qui est devenue un véritable « bordel ». Il prétend
que tout être humain est aussi près de Dieu que pouvait l’être le Christ, car
il possède le Saint-Esprit et il est l’époux de la Vierge Marie. À la même
époque, un ancien moine clunisien, Henri l’Hérétique, extraordinaire orateur, accomplit
des missions dans tout le sud de la France. Il tempête contre l’Église, et ses
adeptes, qui le considèrent comme un ange du ciel, donnent suite à ses sermons
enflammés : ils profanent les églises, brûlent les crucifix, rossent les
prêtres et contraignent les moines au mariage, généralement avec des
prostituées, lesquelles
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