Morgennes
permettrait ensuite d’en gagner beaucoup d’autres.
J’arrivai dans la vallée de Moïse, hantée par les Maraykhât – cette tribu de bédouins sans foi ni loi qui se vendaient au plus offrant, qu’il soit chrétien ou mahométan.
Dans les ruines d’une antique cité, à laquelle poussière, scorpions et serpents tenaient lieu d’habitants, je distinguai une sorte de nabot, menant une carriole tirée par un vieil âne. Que faisait-il par ici ? Ne savait-il pas que c’était dangereux ? J’effectuai un piqué, plaquant mes ailes sous mon corps, et m’approchai d’assez près pour comprendre qu’il s’agissait vraisemblablement d’un méchant bonhomme, car il donnait force coups de badine à son âne. Par solidarité animale, je lui lâchai une fiente sur la tête, et remontai en chandelle.
Le nabot dressa un poing rageur dans ma direction et cria son indignation. Mais sa voix se perdit.
Je devais me dépêcher, car c’était ici le royaume du Khamsin – ce puissant vent charriant gravillons et poussières qui pouvait vous réduire en charpie s’il s’avisait de vous souffler dessus.
Dans le désert, une statue colossale, très ancienne, jetait son ombre sur le sable. Elle représentait un roi ou une reine, c’était difficile à dire, car son visage avait disparu… Qui l’avait érigée ? Pourquoi ? Quelqu’un, quelque part, le savait-il ?
Je poursuivis ma route.
Jusqu’ici, tout allait bien. Mais je redoublai d’attention, car dans mon dos le disque pâle de la lune apparaissait, tandis qu’en face de moi le soleil se couchait. Depuis quand étais-je parti ? Combien de battements d’ailes ? Une bonne centaine de milliers, probablement.
L’Égypte et ses mystères. Cela commença par une série de rencontres macabres. Carcasses d’animaux, chameaux aux trois quarts rongés, et dont les boyaux noircis par le soleil faisaient le régal des mouches, buffle momifié, tête de cheval se finissant en grimace, hyènes errant d’un buffet d’os à l’autre.
Tout cela était bon pour moi, car c’était autant de prises faciles que les rapaces préféreraient toujours au petit maigre que j’étais. D’ailleurs, j’entrevoyais plusieurs aigles blancs, volant tout près du sol. Deux d’entre eux étaient en train de se disputer un morceau de la bosse d’un chameau, qu’un chacal leur défendait d’approcher. Ils étaient si lents, si occupés, que je n’eus aucun mal à les battre de vitesse.
L’Égypte, ma patrie !
Une lueur, au loin, me signala le Nil.
Mais avant, je devais survoler Bilbaïs, déjà pillée à trois reprises par les chrétiens depuis qu’Amaury était roi. Des murailles enfoncées, des bâtiments sans toit, des rues encombrées de débris, voilà tout ce qui restait de cette antique cité, passage obligé entre l’Égypte et la Palestine.
Le Nil.
D’après Strabon, ses eaux favorisaient la fécondité – non seulement des humains, mais aussi des animaux. Pline l’Ancien prétendait qu’elles étaient excellentes pour les céréales et les textiles – là, je me sentais moins concerné. Mais pas question d’oublier d’aller boire une gorgée de ce précieux liquide juste avant d’arriver.
Justement, j’apercevais l’ancien lit du Nil – espace où le désert était constellé de flaques d’eau amère. Une épaisse fumée tournoyait à ras de terre en bouillonnant. On se serait cru dans l’atelier d’un alchimiste, tant il y avait de teintes fantastiques. Des ocres, des jaunes, des bleus et des verts, sans arrêt modifiés, sans cesse se contaminant. Ça sentait le soufre. Ici, l’Enfer affleurait.
Je battis des ailes, fis un écart, et me dirigeai vers un endroit plus sain – un grand lac de boue, où étaient plongés plusieurs dizaines d’individus cherchant à guérir de la lèpre. Certains venaient là chaque jour, depuis des années. Quelques-uns, même, y étaient morts.
Le Caire était en vue. J’amorçai un crochet, puis descendis en planant. Mon point de mire ? Ce minaret, là-bas. Le plus haut de la ville. Normal, c’était celui du palais califal. Mais avant de l’atteindre, il me restait une épreuve – probablement la dernière –, puis ce seraient les retrouvailles avec ma bien-aimée. Il s’agissait d’une odeur, bien plus épouvantable que toutes celles que j’avais humées jusqu’à présent. Une odeur de poulets frits. Les faubourgs du Caire recelaient d’innombrables petits fours à poulets, faits
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