Morgennes
près de nous, qui donnerait sur la mer Rouge. En fait, il faudrait traverser un cimetière, et la sortie se trouverait juste derrière…
— Un cimetière ? Mais qui peut être enterré par ici ?
Marie agita la liasse de parchemins sous le nez de Gargano :
— Des dragons !
VIII
CRUCIFÈRE
62.
« Personne n’aurait pu deviner en effet qu’à cet endroit se trouvait une porte qui, fermée, était parfaitement cachée et invisible. »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Cligès. )
Guillaume de Tyr se trouvait dans sa bibliothèque, où il passait ses journées à compulser des montagnes d’ouvrages depuis qu’Amaury l’avait chargé de retrouver la véritable Crucifère. Soudain, une ombre traversa la page qu’il était en train de lire. Pensant que sa bougie s’était éteinte, il releva la tête. C’est alors qu’un vent froid lui griffa le dos, et que son fauteuil et sa table se mirent à trembler. Craignant qu’un esprit malin se fût introduit dans la pièce, Guillaume empoigna son bâton à tête de dragon, et en donna un grand coup devant lui. Dans le vide.
— Rien !
Rien, si ce n’est qu’il venait maladroitement de renverser sa chandelle. Au moment où la flamme s’éteignait, la terre fut ébranlée par une forte secousse. Si forte que Guillaume dut s’agripper à son écritoire pour ne pas tomber, tandis qu’autour de lui parchemins, papiers et palimpsestes roulèrent hors de leurs cases, boîtes, étagères, rayonnages pour se répandre au sol en un triste fatras.
— Comme s’il n’y avait pas assez de désordre comme ça, dit Guillaume à haute voix pour se rassurer.
Il y eut une accalmie, durant laquelle le jour ne revint pas. Puis un vent glacé parcourut la pièce, souleva la masse de papiers qui gisaient au plancher et les envoya tourbillonner autour de Guillaume.
— Par saint Georges ! s’exclama-t-il en se cramponnant de plus belle à son écritoire.
Une autre secousse fit écho à la première, comme si celle-ci n’avait été qu’une mise en bouche et celle-là le plat de résistance. Tel un vieux corps soumis à rude épreuve, l’église de Tyr craqua, gémit, hurla – mais ne rompit point. Ses murs se fendirent, une partie de son toit s’effondra, son sol s’entrouvrit, mais sa charpente tint bon.
Dans la cité, à en juger par les cris qui montaient aux oreilles de Guillaume, il n’en allait pas de même – les larmes des hommes se mêlaient aux sanglots des femmes, aux braillements des bambins et aux fracas des demeures, pour dire l’agonie, la misère et la mort.
— L’Apocalypse ? se demanda Guillaume.
Mais il ne trouvait nulle réponse, ici, accroché à son écritoire. Un nuage de poussière s’abattit sur lui, et il jugea préférable de ne pas rester là. Mais où aller ?
— Seigneur, éclairez-moi ! pria-t-il en toussant.
Et Dieu lui répondit. Une fissure apparut dans l’un des murs de son scriptorium, et un filet, puis un flot de lumière inonda la pièce.
— Alléluia ! s’exclama Guillaume.
Sans lâcher son précieux bâton, il rampa vers la fissure qui ne cessait de s’agrandir, et par où l’éclat de ce qu’il croyait être un incendie illuminait la pièce – sauf que ce n’était pas un incendie. Il y avait, dans une chambre secrète, un lutrin sur lequel un livre était ouvert – un livre en feu !
Guillaume frémit d’horreur et se précipita pour sauver l’ouvrage, mais se brûla les doigts en le touchant. Reprenant son souffle, il esquissa un signe de croix et prononça un double Pater. Coïncidence troublante, les secousses cessèrent et – petit à petit – le jour revint.
— Miracle ! s’écria Guillaume. Merci, ô Dieu tout-puissant ! Grâces te soient rendues !
Dehors, le soleil brillait avec une ardeur renouvelée. Pressé de se faire pardonner, il réchauffait la terre engourdie par l’hiver, chassant de ses rayons cette étrange et courte nuit où une lune diabolique avait régné. La Tête et la Queue du Dragon, après s’être embrassées, se séparaient de nouveau. Pour combien de temps ?
— Nous verrons cela plus tard, se dit Guillaume.
Avide d’étudier sa découverte, il observa le livre en flammes. Une forte chaleur s’en dégageait, et lorsque Guillaume en approcha de nouveau la main, il s’y brûla une seconde fois.
— Imbécile ! se tança-t-il. Mais pourquoi le lutrin ne brûle-t-il pas ? Serait-il en gopher ? Ce bois est réputé résister au
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