Morgennes
feu…
Prenant une petite plume blanche venue opportunément se poser sur son écritoire, Guillaume la jeta dans les flammes – où elle fut aussitôt carbonisée.
— Intéressant…
Sans se laisser déstabiliser, il posa le menton sur son bâton, et réfléchit. C’est alors qu’il se rendit compte que le plafond de la petite alcôve n’avait pas été noirci par les flammes du livre, ce qui était tout à fait inhabituel.
— Très intéressant.
En outre, le livre ne se consumait pas.
— Vraiment très intéressant !
Ce n’était pas un feu normal.
— Probablement, le gardien du livre…
Enfin, ses yeux s’étant réaccoutumés à la lumière, Guillaume regarda autour de lui, et constata que les murs, la voûte et le sol de la petite pièce étaient concaves, comme l’intérieur d’un œuf. Plus étonnant, ils étaient entièrement décorés. Une carte s’y trouvait peinte, à la mode ancienne. Guillaume crut repérer, à la hauteur de sa tête, sur sa droite, une représentation de la Méditerranée. En vérité, le monde entier s’y étalait, et Guillaume le contempla pendant de longues minutes, avant de poser le doigt sur sa propre ville, Tyr, et de suivre un itinéraire en pointillés qui menait jusqu’à… Lydda – la ville où saint Georges avait été inhumé. Mais où exactement, nul ne le savait, même si plusieurs fausses tombes avaient été entre-temps mises au jour. Malheureusement, aucune ne recélait de Crucifère – à supposer que celle-ci reposât auprès de son défunt propriétaire.
Guillaume venait de déchiffrer une inscription en grec, juste au-dessous de Lydda, dans les faubourgs de la cité. Une inscription mystérieusement ornée d’une croix.
— Par l’Église et la messe ! s’exclama-t-il.
Il ferma les yeux, se demandant pourquoi maintenant ? Pourquoi ici et pourquoi lui ? Car c’était une découverte incroyable, capable de faire – enfin – basculer le cours de l’Histoire dans un sens favorable aux Francs.
Alexandre le Grand, qui d’après la légende avait ordonné la fabrication de Crucifère selon des procédés qui, même à son époque, étaient déjà fort anciens et mystérieux, était en son temps venu à Tyr. Se pouvait-il qu’il eût également ordonné l’édification de cette étrange alcôve en forme d’œuf, voire du bâtiment qui désormais faisait office d’église ?
Ce n’était pas impossible.
Car de quand datait-il ? Les fondations de l’édifice étaient biens antérieures à la venue du Christ, évidemment. Quant à l’église de Tyr proprement dite, elle avait été l’une des toutes premières de la chrétienté. Jusqu’à présent, elle avait plutôt bien résisté à l’Histoire et aux intempéries, mais avait eu à souffrir, comme tous les lieux de culte de la région, de plusieurs pillages et tentatives d’incendie. Que des prêtres aient décidé, autrefois, de murer cette niche n’avait rien d’extraordinaire. Probablement avaient-ils voulu mettre à l’abri leurs trésors.
Et ces trésors, quels étaient-ils ? Une carte et un livre.
La carte indiquait l’emplacement de la tombe du principal héros de la chrétienté, et certainement bien d’autres choses encore ; quant au livre…
— Bah, se dit Guillaume en rouvrant les yeux, un fin sourire aux lèvres. Nous aurons tout le temps, plus tard, de l’étudier dans le détail.
À condition de trouver un moyen de résister aux flammes… Et il repensa aussitôt à Morgennes, dont je lui avais raconté comment il s’était emparé, à Arras, d’une broche chauffée au rouge.
Seul problème, Morgennes était mort.
C’est alors que des bruits de cavalcade et de poings tapés sur la porte résonnèrent dans le scriptorium. Guillaume se retourna précipitamment, et courut vers l’entrée.
— Scellez cette porte, ordonna-t-il aux acolytes venus s’enquérir de son sort. Qu’on la garde jour et nuit ! Et que nul ne pénètre dans cette pièce, sous aucun prétexte.
Il parlait, bien entendu, de son scriptorium. L’affaire était trop grave pour être confiée à un subordonné. Surtout, il devait en référer au roi.
Et vite !
C’est pourquoi, malgré sa peine et à la grande surprise de ses administrés, il ne montra rien de ses sentiments aux habitants, durement éprouvés par ce séisme.
Et c’est ici, tandis que Guillaume chevauche à toute allure vers le Krak des Chevaliers où le roi s’est réfugié – le temps
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