Mort d'une duchesse
gris. Presque toute la lumière provenait d’une chandelle
brûlant dans une petite lanterne posée devant une madone installée entre les
deux fenêtres.
Quand, en arrivant, on avait fait traverser le dortoir à la
veuve, celui-ci n’était occupé que par deux patientes ; elles étaient
allongées sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, dans la position
convenant à une nonne endormie. À toutes deux, en chemise et débarrassées de
leur voile, le bonnet blanc faisait paraître le visage d’un jaune encore plus
maladif. Ni l’une ni l’autre n’était jeune. Si Cosima Di Torre se trouvait au
couvent, elle ne reposait pas dans le grand dortoir. Elle était peut-être dans
le quartier des hôtes, mais la veuve savait qu’il fallait toujours commencer par
chercher sous son propre nez. Elle souleva donc avec précaution le loquet de la
porte la plus proche.
La pièce était identique à la sienne. Sur l’étroite couche
ne reposait qu’un matelas de paille.
La cellule suivante était occupée, de toute évidence par la
sœur Benedicta pour laquelle on disait les prières. On lui avait sans doute
accordé une chambre privée parce qu’elle était proche de la fin. Elle aussi reposait
sur le dos, mains croisées et yeux clos, mais elle était encore plus pâle que
ses sœurs, avec des ombres grises sur le visage émacié. Des chandelles étaient
disposées près de sa tête, comme pour anticiper cet ultime instant à la
chapelle, lorsque sœur Benedicta serait entourée des cierges qu’elle avait mis
de côté à chaque fête de la Purification pour le jour de sa mort.
Au pied du lit, dos à la porte, une nonne était agenouillée,
égrenant son rosaire en silence. Sur la table près du lit étaient posées
quelques fioles et une coupe ; une forte odeur d’herbes se faisait sentir
par-dessus l’odeur de cire. La veuve se signa et se retira.
La dernière pièce était également occupée. Les yeux fermés, mais
les mains le long du corps, reposait ce que les cheveux courts faisaient
prendre de prime abord pour un garçon. Le visage, lisse et d’une pâleur d’ivoire,
était celui d’une jeune fille d’environ dix-sept ans. La veuve sourit, entra et
ferma la porte avec autant de délicatesse que s’il s’agissait d’une ombre.
La jeune fille demeura immobile lorsque la nouvelle venue se
pencha tout près de son visage. Elle ne s’éveilla pas non plus quand la veuve s’empara
de la coupe posée sur la table pour la renifler à son tour. La fiole voisine
fut également examinée, une goutte versée sur un doigt, que la veuve lécha. Quand
la coupe fut reposée, les paupières de la jeune fille papillotèrent ; la
veuve se laissa tomber sur le tabouret et saisit la main flasque. En dépit du
brasero qui ronronnait dans la chambre, les doigts en étaient froids et ne réagissaient
pas à la pression encourageante de la large main.
— Cosima ?
Les yeux étaient couleur noisette, plus verts que bruns, et
les cernes sombres qui les soulignaient les faisaient paraître plus grands. Le
regard n’exprima qu’une légère surprise.
— Est-ce l’heure de dîner, ma mère ?
Elle fronça à peine les sourcils, comme si elle essayait de
rassembler ses esprits.
— Oh, excusez-moi… ce n’est pas mère Luca. Etes-vous
une nouvelle sœur ?
On pouvait aisément confondre un habit de religieuse avec
une tenue de veuve, dont il était inspiré.
La voix était lente et empâtée, comme incapable de s’adapter
au monde éveillé. La veuve tapota la main de la jeune fille et lui parla à voix
basse avec un empressement prudent, l’oreille guettant un éventuel bruit de l’extérieur.
— Cosima. Te souviens-tu des circonstances dans lesquelles
tu es arrivée ici ?
La jeune fille parut étonnée.
— Je ne peux… Ce sont des voyageurs qui m’ont amenée… La
mère supérieure dit qu’ils m’ont tirée des griffes de brigands. J’étais très
malade. Une fièvre. On m’a coupé les cheveux, ajouta-t-elle d’un ton plaintif.
— Es-tu toujours malade ?
Les paupières de la jeune fille retombèrent. Elle commençait
à se fatiguer.
— Mais, ma sœur, la mère ne vous a pas dit ?
L’oreille de la veuve venait de percevoir le son lointain d’une
porte. Avec une agilité incroyable chez une personne de sa corpulence, et si
volumineusement attifée, elle fut à la porte en un clin d’œil et, la tête tournée
vers Cosima, posa un doigt sur ses lèvres. À peine
Weitere Kostenlose Bücher