Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
chambrée, tout entière, quarante lits, a bon air
à cause de cet établissement, éclairé le soir par la seule grosse lampe à
pétrole du camp. On y fait des affaires, on y fait la noce, on y joue. Nous
entendons parfois les clients du cabaret de la Bonne Fortune chanter à
tue-tête, après l’appel, dans la chambrée close.
    Maerts prête sur gage. La culotte de chasse qu’il porte
appartint au baron de la salle III. Sa belle veste écarlate, l’épicier
Pâtenôtre a fini par la lui lâcher pour sept francs après sa tentative d’évasion…
Le grand manteau de cavalerie pendu avec les hardes, dans l’angle, est celui du
capitaine Vetsitch, son ami, endetté de douze francs. Les ballots renferment
des mouchoirs de poche rouges à pois blancs, sur lesquels le patron prête
quatre sous, des foulards, du linge ; l’armoire contient des chaussures de
marque, des nécessaires de toilette, des complets, des portefeuilles, des
livres russes ; les bagues, les montres, les stylos, les porte-cigares
remplissent un lourd coffret métallique placé dans le lit, sous l’oreiller, selon
un usage remontant au moyen âge ou au-delà ; un accordéon repose sur une
boîte à chapeau en cuir de Russie ; des cannes et des parapluies forment
un faisceau… On a vu entre les mains du cabaretier une miniature – le portrait
d’un enfant blond – et un médaillon en or contenant une mèche de cheveux. Il
prête, dit-on, jusque sur les photographies de femmes. Pas sur celles des hommes,
« car on ne les reprend pas ». Quel rusé compère lui empruntant dix
sous sur le portrait d’un monsieur, effaça chez ce forban une dernière trace d’ingénuité ?
    – Ce boucanier, dis-je, à l’âme d’un fondateur de
dynastie financière. Le vois-tu, Sam, en pardessus et feutre mou dans l’ascenseur
d’un sky-scraper ?
    Sam nous considère l’un et l’autre de travers :
    – Mais parfaitement. Mais pourquoi pas ? Bien rasé,
le menton bleu. Rien ne ressemble tant au bandit des magazines qu’un homme d’affaires
à la barbe négligée… C’est parfois le même homme. Change le décor, ajoute ou
déduis la réussite. Rien ne ressemble tant au héros que le gredin. C’est
parfois la même étoffe. Change le décor…
    Son profil d’oncle Sam semble s’être desséché ; il n’est
que froideur, sourire oblique.
    – Beau coin d’Europe, dit-il. Authentique. Tous les
hommes – des suspects. Libres ; admire comme nous sommes libres, de l’appel
du matin à l’appel du soir et même après, libres derrières nos fils barbelés, sous
les fusils chargés, comme les citoyens des républiques les mieux organisées. Libres
de nous nourrir d’ordures comme Antoine ou de nous enrichir comme Maerts. Et
toutes les nations mêlées, brassées, égales devant le rata quotidien, les poux
et la loi. Une collection de canailles dignes des grandes capitales, je t’assure ;
assez de victimes pour faire le bonheur de plusieurs romanciers. Tous respirant
l’air salubre de l’arrière… Et nous, incendiaires enfermés par précaution dans
une soute aux poudres…
    – Sam, ta comparaison pêche par la base. Ici, l’on ne
tue pas. C’est une oasis !
    – Crois-tu vraiment qu’on ne tue pas ? Ce serait
tout à fait extraordinaire…

25. Intérieurs.
    Chaque chambrée a son cachet. Celle où règne Maerts, peuplée
de Belges, est nue, froide. Les couches de pauvres hères, tombés dans la
servitude du patron, n’ont que le mince fourniment donné par l’administration. Des
baluchons de trimardeurs pendent aux murs. Un cordonnier rafistole des savates.
Quelqu’un jure en flamand, quelqu’un ronfle. La chambrette du fond est réservée
à des types sérieux, vêtus comme à la ville, abondamment fournis par la cantine.
Maerts les salue sans obséquiosité. Après tout, c’est encore lui qui leur rend
service. Un grand jeune homme fade, aux moustaches tombantes, qui porte des
cols cassés et des pantalons rayés, mais se néglige, veule, avec des barbes de
quatre jours, tressaille tout entier, les pommettes subitement roses, quand le
boucanier lui fait signe :
    – Demain, 5 heures, Monsieur Arthur.
    De ses mains fines, agitées d’un léger tremblement, M. Arthur
tire de son gousset trois cartons verts de 5 francs. On le voit plus tard rire
distraitement, faire son piquet, perdre de bonne humeur. Il se couche tôt pour
rêver, tourné contre le mur. À 5 heures, demain, le territorial Floquette, au
petit

Weitere Kostenlose Bücher