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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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de singe, sur des feux de
brindilles, des ratatouilles succulentes ; trop sale pour qu’on l’approche,
il laisse choir des poux sur son chemin.
    – Qu’il crève, vermine ! Danger public ! disent
Blin et Lambert, deux gaillards en chandails, au teint fleuri, inséparables, logés
ensemble dans une chambrette confortable au-dessus du réduit où le vieux dort, roulé
en boule, sur une paillasse nauséabonde. Blin et Lambert, fines bouches, passent
leur temps à se faire la popote, lire les journaux, battre les cartes. Des
petites marraines de guerre en déshabillé, découpées dans la Vie parisienne, égaient leur intérieur de sybarites bien contents d’être ici au chaud, et
pas au front, et pas en prison…
    – On n’est pas trop mal, disent-ils. La vie n’est pas
rose, de ce temps-ci, en pays occupé. Ou dans les cagnas, dites donc ! Et
ça se tire.
    Antoine crèvera, parbleu. Sur quatre cents que nous sommes, il
n’y en a pas cinquante assurés de manger régulièrement à leur faim. Notre
équipe de révolutionnaires devra se bien serrer les coudes pour que nous
puissions tous tenir. – Antoine vend sa ration de pain, 300 grammes, pour s’acheter
du tabac. Son seul bien ici-bas est une pipe de deux sous en terre cuite, prodigieusement
culottée ; c’est merveille qu’il la conserve depuis des mois. Un voyou
polonais la lui déroba un jour ; le boucanier Maerts, barbu jusqu’aux yeux,
costaud dans sa veste de laine rouge, ses gros doigts d’étrangleur tambourinant
sur son comptoir, fit comparaître devant lui l’auteur du larcin.
    – Yanek. T’as barboté l’brûle-gueule à c’pouilleux. Ben,
tu vas lui rapporter ça illico.
    – Oui, M’sieu Maerts, dit Yanek, pouvez en êt’sûr.
    Le vieux errait dans la cour avec des yeux de fou. Yanek
dégringola l’escalier quatre à quatre, le rejoignit en courant et, sans mot
dire, lui fourra la pipe entre les dents.
    Maerts a sa bonté. Il mange bien. Il faut le voir attablé
devant une pâtée de lard, pommes de terre et petits pois, et un litre de rouge,
splendidement seul dans son « établissement », mastiquant avec
lenteur, toute la face, toute la barbe remuées, et les deux poings noueux posés
sur la table, tenant la fourchette et le couteau comme des armes. Il bâfre et
son regard fouineur surveille la chambrée, suit les nuages dans la fenêtre, flotte
autour de la vierge couronnée dressée au faîte de l’église : féminité
superflue : invendable ! Il ramasse dans une écuelle les restes de sa
boustifaille, tendons, bouts d’os, patates noires, et descend dans la cour. Le
vieil Antoine, connaissant l’heure, guette dans son coin coutumier, d’où
personne ne le chasse, près des cabinets. À trois pas, Maerts, se baissant
légèrement, retourne l’écuelle et la mangeaille tombe sur le sol. Puis il
recule et regarde le vieux, accroupi, dévorer ces restes avec la terre qui se
colle aux gras, comme un chien.
    – Tout d’même, fait Maerts charitable.
    Et les mains dans les poches, lourd, cossu, costaud, il se
retourne d’une seule pièce et s’en va.
    Nous sommes au cabaret chez Maerts. – Salle II, en
entrant, dans l’angle de droite. L’établissement a bonne mine. C’est le plus
chic du camp. Cinq tables, des sièges à dossier. L’enseigne placardée sur le
mur porte en grosses lettres rouges ornées de fioritures : à la bonne
fortune. Café à toute heure. Des coffres cerclés de fer meublent le réduit
du patron. Son lit bien fait couvre, pour plus de sécurité, la belle armoire en
bois blanc qu’il s’est faite lui-même, avec des débris de caisses, solide, fermée
d’un gros cadenas. Des chromos enluminés (Brasserie du Lion des Flandres, Chicorée
des Trappistes) achèvent de créer dans ce coin de chambrée une atmosphère d’estaminet
flamand. Un réchaud fait chanter nuit et jour l’énorme bouilloire en fer blanc
trônant sur le comptoir entre deux pancartes calligraphiées : Crédit
est mort, Aide-toi, le ciel t’aidera. Le gobelet de café, servi avec un
dixième de morceau de sucre, coûte deux sous (carton rose, huilé par les
touchers : « Camp de Trécy, 10 centimes »). Nous buvons. Maerts
médite sur les chiffres de son calepin, le crayon à l’oreille. Des choses
hétéroclites sont accrochées à des clous, posées sur des étagères faites d’une
planche suspendue à un crochet par un système de fils de fer, fourrées sous la
couchette dans des ballots. La

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