Napoléon
crois reconnaître tous ces sentiments en consentant à la dissolution du mariage qui, désormais, est un obstacle au bien de la France, qui la prive du bonheur d’être un jour gouvernée par les descendants du grand homme si évidemment suscité par la Providence pour effacer les maux d’une terrible révolution et rétablir l’autel, le trône et l’ordre social. Mais la dissolution de mon mariage ne changera rien aux sentiments de mon coeur : l’Empereur aura toujours en moi sa meilleure amie.
Lui, pose pour la postérité. Il ne fait pas un geste et demeure « immobile comme une statue, les yeux fixes et comme égarés ». Il n’assiste pas au Conseil privé au cours duquel les grands dignitaires discutent de la manière dont on présentera, le lendemain, le projet de senatus-consulte au Sénat. Napoléon – dans ce domaine, son inconscience laisse toujours pantois – désigne Eugène pour prononcer le seul discours qui doit précéder le vote.
— Il importe au bonheur de la France, dira le fils de Joséphine, que le fondateur de cette quatrième dynastie vieillisse environné d’une descendance directe qui soit notre garantie à tous, comme le gage de la gloire de la patrie... L’âme de ma mère a été souvent attendrie en voyant en butte à de pénibles combats le coeur d’un homme habitué à maîtriser la fortune et à marcher toujours d’un pas ferme à l’accomplissement de ses grands desseins. Les larmes qu’a coûtées cette résolution à l’Empereur suffisent à la gloire de ma mère.
Tandis que, ce jeudi soir, les dignitaires se séparent, Joséphine, « les cheveux en désordre, la figure toute renversée », entre dans la chambre de l’Empereur. Il vient de se mettre au lit. Ils pleurent tous deux longuement dans les bras l’un de l’autre. Une heure plus tard, Joséphine sort de la pièce. Ses larmes coulent toujours sur ses joues. « Alors, nousrapporte Constant, je rentrai dans la salle à coucher pour en retirer les flambeaux, comme j’avais coutume de faire tous les soirs. L’Empereur était silencieux comme la mort, et tellement enfoncé dans son lit, qu’il me fut impossible de voir son visage. »
Le lendemain, à deux heures de l’après-midi, celle qui n’est plus qu’un nom dans l’État monte dans sa berline – l’Opale. On abaisse les stores et, au grand galop, la voiture prend la route de Saint-Germain. Il fait froid, il vente du sud-ouest et il pleut à verse durant tout le chemin de croix qui va conduire l’impératrice répudiée jusqu’à Malmaison.
Deux heures plus tard, la pluie – « très forte », précise l’Observatoire – n’a pas cessé lorsque Napoléon quitte à son tour les Tuileries pour Trianon, après avoir passé une revue dans la cour. Le vent souffle en rafales.
Les souvenirs – leurs souvenirs – se pressent-ils à son esprit ? La petite maison de la rue Chantereine, cette chambre à coucher aux chaises de nankin bleu, ces meubles en bois de citronnier et le buste de Socrate sur la cheminée, ce pauvre Socrate qui devait se trouver un peu dépaysé au coeur de ce cadre si loin de la sagesse ? Comme il avait aimé Joséphine, Mio dolce amor ! Comme il l’avait suppliée de l’aimer : « Aime-moi comme tes yeux. Mais ce n*est pas assez. Comme toi. Plus que toi, plus que ta pensée, ton esprit, ta vie, ton tout... Douce amie, pardonne-moi, je délire... Adieu, adieu, adieu. Je me couche sans toi. Je dormirai sans toi. Je t’en prie, laisse-moi dormir. Voilà plusieurs jours où je te serre dans mes bras. »
Il en fera confidence plus tard à Sainte-Hélène :
— Elle avait je ne sais quoi qui plaisait... Elle avait le plus joli... qui fût possible. Il y avait là les trois-ilets de la Martinique...
Pense-t-il aussi qu’en renvoyant Joséphine il va perdre son étoile ? Cette étoile qui a commencé à briller au lendemain de Vendémiaire lorsqu’il l’avait rencontrée ? Il est pourtant superstitieux ! Il tient cela de ses origines. Mais il doit être à cent lieuesde s’imaginer que, dans dix-huit mois, un grognard pourra lancer :
— Il ne fallait pas qu’il quittât sa vieille, elle lui portait bonheur et à nous aussi !
Ce soir-là – ce soir du 15 décembre 1809 – à Trianon, il essaye plutôt de chasser ses souvenirs. Il occupe dans l’aile droite sa chambre qui vient alors d’être recouverte d’un bien joli tissu – un semis d’étoiles d’argent. Tentures, rideaux et
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