Napoléon
le mot de la tsarine, la fille de son maître à « l’Ogre Corse ».
Le 29 novembre – la veille du jour où Joséphine avait appris que son sort était fixé – le ministre de l’empereur François, au cours d’un étrange entretien avec le comte de Laborde, chargé d’affaires de France à Vienne, avait « glissé dans la conversation la possibilité d’un mariage de l’Empereur avec une princesse de la famille ». Et Metternich avait ajouté, en s’aventurant en quelque sorte sur la pointe des pieds :
— Cette idée est de moi, je n’ai point sondé les intentions de Sa Majesté à cet égard ; mais outre que je suis comme certain qu’elles seraient favorables, un tel événement aurait tellement l’approbation de tout ce qui a quelque fortune, quelque nom, quelqueexistence dans ce pays, que je ne le mets point en doute, et que je le regarderais comme un véritable bonheur pour nous et une gloire pour le temps de mon ministère.
Quelques jours plus tard, à Paris, au cours d’un bal aux Tuileries, le comte de Floret, attaché à l’ambassade d’Autriche à Paris – et poussé par son chef Schwarzenberg, celui-ci guidé lui-même par Met-ternich – aborde Sémonville. Il feint de regretter le mariage projeté par Napoléon avec une grande-duchesse russe.
— Il paraît, en effet, répond Sémonville, que l’affaire est faite, puisque vous n’avez pas voulu la faire vous-même.
— Qui vous l’a dit ? demande Floret.
— Ma foi ! on le croit ainsi. Est-ce qu’il en serait autrement ?
— Pourquoi pas ?
— Serait-il vrai, reprend Sémonville, que vous fussiez disposés à donner une de vos archiduchesses ?
— Oui.
— Qui ? Vous, à la bonne heure, mais votre ambassadeur ?
— J’en réponds !
— Et monsieur de Metternich ?
— Sans difficulté !
— Et l’empereur d’Autriche ?
— Pas davantage !
— Et la belle-mère qui nous déteste ?
— Vous ne la connaissez pas, c’est une femme ambitieuse, on la déterminera quand et comme on voudra.
Metternich se frotte les mains en apprenant la scène et est éberlué en recevant quelque temps plus tard une lettre de sa femme lui rapportant l’étrange conversation qu’elle venait d’avoir avec Joséphine. L’ex-impératrice lui avait confié :
— J’ai fait un projet qui m’occupe exclusivement et dont la réussite seule me fait espérerque le sacrifice que je viens de faire ne sera pas en pure perte, c’est que l’Empereur épouse votre archiduchesse ; je lui en ai parlé hier et il m’a dit que son choix n’estpoint encore fixé ; mais je crois qu’il le serait s’il était sûr d’être accepté chez vous.
Metternich répond aussitôt à sa femme : « Je regarde cette affaire comme la plus grande qui puisse occuper en ce moment l’Europe. »
Napoléon, aussitôt prévenu de la double avance qui lui est ainsi faite à la fois à Vienne et à Paris, a gardé précieusement cette carte dans son jeu. À la suite de la dépêche de Caulaincourt, il réunit aux Tuileries un Conseil, afin de demander à ses frères, aux grands dignitaires, aux ministres, quelle est leur opinion. Qui doit-il épouser : une archiduchesse, une grande-duchesse ou une princesse de Saxe ?
— Il ne tient qu’à moi, proclame-t-il avec orgueil, de désigner celle qui passera la première sous l’Arc de Triomphe pour entrer à Paris.
Lebrun prône le mariage saxon qui resserrerait les liens avec la Confédération, mais la majorité se divise en partisans d’une union russe ou autrichienne. Murat, se faisant le porte-parole des Napoléonides, désapprouve le mariage autrichien, d’abord parce que « la Beauharnais » le recommande, et ensuite parce que l’arrivée à Paris de la nièce de la souveraine dont il occupe le trône risque de le mettre dans une situation délicate... L’alliance avec la Russie lui paraît au contraire offrir de multiples avantages. Il est combattu par Fçsch et Fontanes. L’arrivée d’une princesse schismatique à Paris, la présence de popes aux Tuileries, semblent des arguments sérieux.
Voir Napoléon épouser celle qui, à la fois par son père et par sa mère, se trouve être la petite-nièce de Marie-Antoinette, gêne certains membres du Conseil. Talleyrand aurait alors déclaré – mais faut-il l’en croire ? – qu’une telle union « absoudrait la France aux yeux de l’Europe et à ses propres yeux d’un crime qui n’était pas le
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