Napoléon
voulez vous en emparer, pensant peut-être qu’il n’y a pas d’autre moyen d’assurer de ce côté vos frontières... Ne vous flattez pas que je dédommage le duc d’Oldenbourg du côté de Varsovie. Non, quand même vos armées camperaient sur les hauteurs de Montmartre, je ne céderais pas un pouce du territoire varsovien ; j’en ai garanti l’intégrité... Vous n’en aurez pas un village, vous n’en aurez pas un moulin. Je ne pense pas à reconstituer la Pologne ! L’intérêt de mes peuples n’est pas lié à ce pays ; mais si vous me forcez à la guerre, je me servirai de la Pologne comme d’un moyen contre vous... Vous savez que j’ai huit cent mille hommes, que chaque année met à ma disposition deux cent cinquante mille conscrits et que je puis, par conséquent, augmenter mon armée en trois ans de sept cent mille hommes qui suffisent pour continuer la guerre en Espagne et vous la faire.
N’avait-il pas dit un jour à ce même prince Kourakine :
— Votre maître a-t-il comme moi vingt-cinq mille hommes à dépenser par mois ?
Mais il ne laisse pas le temps au malheureux ambassadeur de répondre. Il poursuit :
— Je ne sais pas si je vous battrai, mais nous nous battrons. Vous comptez sur des alliés : où sont-ils ? Est-ce l’Autriche à qui vous avez ravi trois cent mille hommes en Galicie ? Est-ce la Prusse ? La Prusse se souviendra qu’à Tilsit l’empereur Alexandre, son bon allié, lui a enlevé le district de Byalystock. Est-ce la Suède ? Elle se souviendra que vous l’avez à moitié détruite en lui prenant la Finlande. Tous ces griefs ne sauraient s’oublier : toutes ces injures se paieront ; vous avez le Continent contre vous !
Kourakine, le visage ruisselant, ne cesse de s’éponger, et ne parvient à placer que quelques vagues protestations sur le tsar, « ami le plus fidèle de la France... ami le plus dévoué de son souverain ». Entre deux tirades de Napoléon, il répète, pitoyable :
— Il fait bien chaud chez Votre Majesté !
La guerre est maintenant inévitable.
Le 5 décembre 1811, Jérôme alerte son frère : « La fermentation est au plus haut point, les plus folles espérances sont entretenues et caressées avec enthousiasme. » Les armées françaises « d’observation » passent de cinquante à quatre-vingt mille hommes. Le 16 décembre, Napoléon ordonne de « préparer la Garde pour entrer en campagne », et trois jours plus tard le bibliothécaire, le sieur Barbier, reçoit l’ordre de faire parvenir à l’Empereur « quelques bons ouvrages les plus propres à faire connaître la topographie de la Russie et surtout de la Lithuanie, sous le rapport des marais, rivières, bois, chemins... Sa Majesté désire avoir aussi ce que nous avons en français de plus détaillé sur la campagne de Charles XII en Pologne et en Russie. Quelques ouvrages sur des opérations militaires dans cette partie seraient également utiles. »
C’était là, chose plus commode à rassembler que de transformer l’empereur d’Autriche, les rois de Prusse et de Suède en alliés de la France. Si Metternich acceptait de fournir un contingent de trente-quatre mille hommes à Napoléon, il s’en excusait auprès du tsar, affirmant que ces troupes ne seraient qu’auxiliaires. Alexandre remercia en assurant qu’il ne ferait pas la moindre égratignure aux soldats autrichiens – le froid d’ailleurs s’en chargera... Le roi de Prusse dut se résigner à envoyer de son côté vingt mille hommes contre son ami Alexandre, tout en lui précisant sous le manteau :
— Si la guerre éclate, nous ne nous ferons de mal que ce qui sera d’une nécessité stricte ; nous nous rappellerons toujours que nous sommes unis, que nous devons un jour redevenir alliés.
Bernadotte s’offrait le luxe d’adresser de grandes protestations d’affection à Napoléon. Se ranger aux côtés du tsar ? On l’avilissait avec une telle pensée ! Combattre l’Empereur, son ancien compagnon d’armes ? Notre Gascon affirmait qu’il ne commettrait jamais une telle infamie ! Plutôt que d’agir de la sorte, il préférerait « se jeter dans la mer la tête la première » ou mieux encore : « se mettre à cheval sur un baril de poudre et se faire sauter en l’air ! »
Mais, en Poméranie, les Suédois appliquent si mal le blocus, que Napoléon fait occuper la province donnée par la France à la Suède en 1810. La politique de Bernadotte devant cet
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